Korean rapsodie
En 2013, lorsque Bong Joon-Ho et Park Chan-Wook avaient traversé le Pacifique pour rejoindre l'usine à mauvais rêve Hollywoodienne, on craignit alors un occidentalisation décevante des meilleurs...
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le 29 août 2016
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Dernier Train pour Busan est la cible d'une nouvelle mouvance des films coréens du sud, tout aussi désastreuse que l'évolution du cinéma de divertissement mondial contrôlé par une Amérique perdue dans les suites, les adaptations, les remakes et les reboots. Surement désireux de faire aussi populaire que la patrie de l'oncle Sam, il semblerait, avec Train to Busan, qu'ils se soient vendus à la patrie de sieur McDonald pour s'ouvrir au monde entier.
Si quelques films de Corée du Sud avaient pu, jusque là, se faire une réputation à l'international, notamment grâce à des festivals (Cannes, par exemple) ou au soutien de célébrités influentes (Tarantino et son amour pour le cinéma asiatique, notamment Old Boy), rares étaient ceux qui rayonnaient véritablement, qui marquaient l'esprit du reste du monde, et tandis que sortait Tunnel, sorte de réadaptation coréenne de l'excellent Gouffre aux Chimères, Dernier Train pour Busan est une sorte de révision du World War Z de Marc Forster, en forcément plus violent parce qu'il est coréen.
Et une fois passé outre cette boutade gratuite, on pourra tout de même préciser à quel point cette cruauté graphique fait du bien; à l'époque où les films d'horreur, majoritairement formatés, se sont peu à peu éloignés du gore inhérent aux films d'infection, Train to Busan s'impose pour nous rappeler ce que cela faisait d'être surpris par un Romero, un Fulci ou un Cronenberg, et que le zombie au cinéma ne peut exister sans cruauté humaine, ultra-violence et ironie tranchante.
Ainsi, on se retrouve avec un film à la forme superbe, qui gère à la perfection sa tension, son action et l'avancée de ses personnages dans le train, quitte à en devenir suffoquant. Si le train sera admirablement bien filmé, avec un sens pointu des espaces et de comment s'en servir pour survivre, c'est surtout au niveau des courses poursuites que Dernier train pour Busan se pose comme une référence, faisant mieux que la majeure partie de ses grands frères de chez McDonald & Co.
Mais si l'on ne pourra globalement rien dire sur la forme du spectaculaire, c'est par son écriture qu'il dérange et gâche tout son potentiel, préférant se calquer presque entièrement sur les séries b bourrines sorties dans le genre plutôt que d'apporter sensibilité, humanisme et poésie avec l'habileté habituelle du cinéma du matin calme. L'émotionnel ne semble pas être le fort de son réalisateur Yeon Sang-ho, venu tout droit du film d'animation et mettant en images, avec Dernier train pour Busan, son premier long-métrage en prises de vue réelles.
Loin d'être à l'aise lorsqu'il s'agit de transmettre des émotions au public, le réalisateur se repose sur ses acteurs dans le faux et ses dialogues primaires :
" - Tu crois pas que tu m'dois des excuses?
- Comment ça?
- Regardez moi ce con."
Quelle erreur, aussi, de considérer la musique au piano comme vecteur principal de l'émotion : répétitive et envahissante, elle se colle à toute les scènes un soupçon dramatique pour appuyer un feeling qui manque clairement à sa mise en scène : efficace lorsqu'il s'agit de faire dans le spectaculaire et la tension (sans toutefois parvenir à effrayer, Dernier train pour Busan étant un film à suspens, pas d'épouvante), il perd toute la maîtrise de sa forme lorsqu'il s'agit de faire des séquences à échelle humaine, plongeant ses personnages dans du mélodrame surjoué.
D'un autre côté trop occupé à soigner la forme pour se concentrer sur le fond, Yeon Sang-ho livre une critique sans finesse de sa société coréenne moderne, qu'il caricature en la réduisant à un microcosme qui se perd dans sa volonté d'écraser les autres pour son bien-être personnel : l'égoïsme comme principale caractéristique du versant riche de la Corée du Sud caractérise, vous vous en doutez, ses personnages de façon si caricaturale que le propos, rapidement dépassé par la stupidité de ses métaphores, peine à convaincre l'amateur du film de zombies qui venait autant pour trouver des monstres assoiffés de sang qu'une critique sociale dans l'air du temps.
C'est qu'il est sacrément forcé, cet échantillon de pauvres et de riches manichéen, où les riches, forcément vecteurs de cette épidémie qu'on nomme Capitalisme (c'est peu ou prou l'idée principale du film), trahiront, mépriseront, rabaisseront les pauvres pour survivre en lâches insupportables. Forcément que la morale du film l'emportera, choisissant de se débarrasser de tous ceux qui portent un costume, une cravate et un attaché-case, là où notre héros se délestera, petit à petit, de ses apparats d'homme d'affaires pour finir débraillé comme le peuple, à la manière de son collègue survivant dont la seule caractéristique est d'être le sans-abri sympa, muet mais beaucoup trop expressif en comparaison du reste du casting. Il trouve un miroir dans le camp des riches, avec un grand méchant en cabotinage complet et à l'évolution ridicule : il n'existe pour rien d'autre que jouer le méchant de service, et le fait très mal.
On retiendra, parallèlement à cela, le manque de finesse de la psychologie de notre personnage principal, interprété par un Gong Yoo surement plus à sa place dans un polar que dans un film de zombies. Son manque d'expressivité met en évidence le fait qu'il n'est pas à l'aise dans la composition de son rôle de héros lâche un temps, puis courageux lorsqu'il doit jouer les martyrs; comment l'être, en même temps quand on est entouré de caricatures et de dialogues primaires, où les insultes volent haut et les répliques bien bas? Il est presque impossible de s'attacher à des protagonistes qui ne sont, finalement, que des clichés de ce que l'Amérique sait faire en mieux, en moins manichéen et, surtout, moins pathos et mélodrame (particulièrement lorsqu'il s'agit d'enchaîner les sacrifices héroïques et hurlant tout leur courage en face-cam).
Il suffira de voir l'inévitable cliché de l'infection qui prend plus de temps à contaminer les personnages principaux pour comprendre que Dernier train pour Busan est tombé dans tous les travers d'une société capitaliste qu'il dénonce avec une mauvaise foi effarante, en plus d'enchaîner les situations prévisibles au côté tire-larmes fortement désagréable, et les personnages qui n'existent qu'en tant que personnages fonction.
On a l'impression, sur la fin, que chaque personnage censé mourir n'existe que parce qu'il doit mourir, à l'image du couple d'ado, qui par un comportement idiot (ne pas fermer la porte arrière quand on se réfugie est-il seulement pensable?) rendent le méchant toujours plus méchant, et nous conduisent sur une scène de pseudo romantisme brisé des plus stéréotypés.
On se dit finalement qu'il représente plus une fan fiction du travail américain qu'un film coréen à part entière, et tout aussi impressionnante que soit son invasion d'infectés, cela ne l'empêche pas de perpétuer le mythe du zombie tueur plus que prédateur, qui ne mange plus que pour se reproduire, non pas pour se nourrir. Quel est donc le but d'une pandémie si les contaminateurs ne font que contaminer, sans plus chercher à entretenir leur non vie par la nourriture humaine et/ou animale?
Quelle place à l'horreur et à l'effroi (les grands absents du film, vous l'aurez compris), le zombie devenant alors, de fait, bien moins impressionnant et effrayant, puisqu'il ne conduira plus sur des excès de gore et d'ultra-violence, préférant contaminer des humains au travers de combats certes spectaculaires, mais desquels il ne reste pas grand chose une fois la transformation accomplie et la prochaine cible désignée?
Dernier Train pour Busan, en plus de caricaturer le cinéma d'un pays qui excelle dans le thriller et l'ultraviolence, occulte complètement la dimension horrifique du genre pour verser sans réfléchir dans une action décomplexée et complètement incohérente : Sang-ho, talentueux pour les jouer les petits espaces, ne parvient plus à la canaliser lorsqu'il s'agit, en fin de film, de boucler l'intrigue hors du train. Il vire alors dans des excès proches de ce que pourrait faire un animé spectaculaire en approchant la fin de la projection, dénaturant complètement une oeuvre qu'il essayait, sans grande réussite, de rendre intimiste.
Et cédant la tension des couloirs mal éclairés au grand n'importe quoi d'un train fantôme qui déraille à toute vitesse, il charge tête la première vers un grand-guignolesque imprévisible, bourré d'effets numériques ratés et de comportements de personnages incompréhensibles (le couple de jeunes ados cités plus haut). C'est là qu'il se prend en pleine face le revers de la médaille des films de genre : à trop vouloir en faire sans réfléchir comme il faut son oeuvre, il arrive forcément ce moment désagréable (pour l'artiste autant que pour le spectateur) durant lequel les clichés et les poncifs du registre viennent parasiter ce qui partait à la base avec une bonne intention.
Tellement qu'il prend les traits, en fin de bobine, d'une série b bien enrobée à la bêtise navrante.
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Créée
le 17 juil. 2019
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Quand je mate un film de zombies non parodique moderne, j'ai de nombreuses occasions de soupirer. C'est un genre assez codifié et le nombre d'histoires faisant intervenir ces charmants punching-ball...
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Ainsi donc, du Zombie en mode Word War Z (à savoir rapide) dans un train en mode Snowpiercer, le tout en Corée. Il faut bien reconnaître qu’il y avait quand même de quoi se méfier. Et ça dure deux...
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