Le piège, l’honneur et la camaraderie

Caméraman au Service cinématographique des armées, Pierre Schoendoerffer y était. Trente-huit ans, il a porté, en lui, ce film. Il tenait à le tourner sur place. Il l’a fait. Les anciens belligérants ont fourni les figurants. Vous connaissez l’histoire : le Corps expéditionnaire compte casser du Viet en projetant un camp retranché, dans une cuvette à la lisière du Laos, trop loin. Dès le premier assaut, l’espoir change de camp, l’artillerie française est battue, son colonel se suicide. Atterrissages et décollages se révèlent impossibles, ravitaillement et renforts devront être parachutés. La fine fleur de l’armée française est piégée. L’agonie durera 170 jours.


La reconstitution est belle. Schoendoerffer hésite entre le documentaire, qu’il commente en personne, et la fiction. En l’absence d’images de synthèse, les amateurs apprécieront les véritables Traction Avant, 203 et 4CV, les Jeep et GMC, le train, les trois DC3 et les deux faux Gruman F6F-5 Hellcat (des North American T-6 maquillés), jusqu’au clairon, qui sonne juste. Les tenues coloniales blanches sont immaculées, les treillis boueux et tachés de sang.


Le montage alterne les séquences de la Cuvette et de Saigon. Il s’attarde dans la capitale insouciante, ses cercles de jeux où l’on parie sur la chute du camp, ses bars à soldats qui se vident progressivement et l’aéroport où, chaque soir, un contingent embarque. Très vite, nul n’ignore que le voyage sera sans retour, pourtant, les volontaires, parachutistes, légionnaires et cavaliers, ne manquent pas, et ce, jusqu’au dernier jour.


À l’inverse de tant de productions récentes, il n’éprouve pas le besoin d’en rajouter, dans l’horreur ou la romance, le sadisme ou la dénonciation. Il se contente de filmer ce qu’il a vu. On marche, crie, commente. On meurt assez peu. Sa caméra s’attarde néanmoins sur les corps martyrisés et les lâches qui se cachent. Il pleut. Tous pataugent dans la boue. Les détonations sourdes des obus scandent les journées. Il privilégie les combats de nuit, ou dans la brume. De jour, le manque de moyens est plus visible. On ne verra de Viets qu’à la fin, quand la Cuvette a rendu les armes, dans une extraordinaire scène opposant la joie des innombrables vainqueurs à l’abattement des vaincus.


Schoendoerffer est aussi écrivain, ses personnages s’écoutent un peu parler, le ton n’est pas toujours juste. « La mort, c’est le triomphe de la pesanteur, loi du vieil Isaac ». « Que sait-on des morts ? sinon que bientôt on leur ressemblera ? » Cet aspect désuet ne m’est pas désagréable. On prie un peu et on commente trop, à moins que cela ne fut l’inverse, question de point de vue. Le capitaine Jegu de Kerveguen (Patrick Catalifo) s’évertue à d’expliquer au journaliste américain le point de vue d’un soldat de métier. Un professionnel accepte de mourir, mais déteste être gaspillé dans une bataille mal foutue, mal commandée, être réduit à “du pain pour les canards". Il sautera tout de même, par fierté, pour rejoindre les autres.


Contre les Viets, contre l'ennemi,
Partout où le combat fait signe…

Step de Boisse

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