Oh la la je payerais cher pour voir la tête de Clint Eastwood devant Gone Girl ! Lui qui se mine la santé à réaliser année après année des pensums indigestes sur la beauté du rêve américain, je pense que le jour où il devra se farcir ce réquisitoire implacable contre le cauchemar étasunien, ça y est, enfin, il s’étouffera. Ou se fera sauter le caisson… on peut rêver, non ?

Le plus malin, dans tout ça, c’est de cacher le poison au coeur d’un verre de lait blanc. Un thriller comme hollywood en a le secret : une disparition, des fausses pistes, des rebondissements : pour le spectateur us lambda, c’est un divertissement comme un autre. Voir la vie d’un citoyen au-dessus de tout soupçon basculer du jour au lendemain est notre version moderne des jeux du cirque, jusque là rien de bien original. Sauf qu’au milieu de l’histoire, tout bascule, tout se renverse, et les « apparences » se brisent. Deuxième mouvement d’une symphonie qui en comporte trois.

Car le jeu de massacre mis en place par Fincher ne se réduit pas à ce coup de théâtre, qui n’est qu’une péripétie supplémentaire dans un tableau encore plus noir de son cher pays, parangon auto-proclamé de la Justice et de la Vérité. Non, le vrai sujet à mes yeux, ce n’est pas que les apparences soient trompeuses, c’est qu’elles sont monnayables. Et qu’une nation toute entière - la plus puissante de la planète de surcroît - s’est vouée à ce Veau d’Or là. Ce qui pourrait n’être qu’un portrait au vitriol de la vie conjugale, ou une étude psychologique sur un cas limite de perverse-narcissique, débouche en réalité sur un constat nettement plus général, et plus flippant : une société entièrement conduite par la haine de soi, et qui a fait de cet échec un spectacle permanent. Les choses n’ont guère changées depuis que les premiers puritains ont mis le pied sur le continent, mais les outils eux se sont perfectionnés à mesure que la maladie grandissait. La chasse aux sorcières continue, mais le procès désormais s’est transporté devant les écrans de télévision, avec la vox populi comme seul juge. Et à voir la façon dont se termine ce film glaçant, on imagine à quel point ce pauvre David a peu d’illusion sur la suite du programme.
Chaiev
8
Écrit par

Créée

le 9 oct. 2014

Critique lue 4.2K fois

142 j'aime

20 commentaires

Chaiev

Écrit par

Critique lue 4.2K fois

142
20

D'autres avis sur Gone Girl

Gone Girl
Sergent_Pepper
8

Amy pour la vie

Brillantes, les surfaces de verre et les chromes étincelants des 4x4 d’une suburb impeccable du Missouri. Brillante, la photographie d’un univers bleuté, haut de gamme, au glacis de magazine. Beaux,...

le 22 oct. 2014

225 j'aime

22

Gone Girl
Kobayashhi
8

Lettre ouverte...

David Fincher, Il a fallu attendre que tu entres dans ta cinquième décennie pour réaliser ton plus beau film, il faut dire que contrairement à certains je ne t'ai jamais réellement voué un culte...

le 10 oct. 2014

183 j'aime

12

Gone Girl
Docteur_Jivago
8

American Beauty

D'apparence parfaite, le couple Amy et Nick s'apprête à fêter leurs cinq ans de mariage lorsque Amy disparaît brutalement et mystérieusement et si l'enquête semble accuser Nick, il va tout faire pour...

le 10 oct. 2014

172 j'aime

35

Du même critique

Rashōmon
Chaiev
8

Mensonges d'une nuit d'été

Curieusement, ça n'a jamais été la coexistence de toutes ces versions différentes d'un même crime qui m'a toujours frappé dans Rashomon (finalement beaucoup moins troublante que les ambiguïtés des...

le 24 janv. 2011

287 j'aime

24

The Grand Budapest Hotel
Chaiev
10

Le coup de grâce

Si la vie était bien faite, Wes Anderson se ferait écraser demain par un bus. Ou bien recevrait sur le crâne une bûche tombée d’on ne sait où qui lui ferait perdre à la fois la mémoire et l’envie de...

le 27 févr. 2014

270 j'aime

36

Spring Breakers
Chaiev
5

Une saison en enfer

Est-ce par goût de la contradiction, Harmony, que tes films sont si discordants ? Ton dernier opus, comme d'habitude, grince de toute part. L'accord parfait ne t'intéresse pas, on dirait que tu...

le 9 mars 2013

244 j'aime

74