C'est après deux premiers films réussis que le talentueux mais classique Joe Wright s'est manqué : Le Soliste, film tire-larme sans grande âme, commençait déjà à montrer les limites d'un réalisateur à l'aise avec les reconstructions historiques mais se perdant quand il s'agissait de filmer ses personnages en milieu urbain moderne. Bourré de filtres bleus, d'une caméra qui tremble sans jamais savoir se poser et de très peu de plans larges de foules (exercice qui lui réussit le mieux), cette troisième réalisation pointait déjà les limites d'un réalisateur s'étant enfermé lui même dans un registre duquel il essaie de s'échapper sans grand succès.


Hanna, tentative de mêler esthétique clipesque avec un nouveau genre cinématographique (celui du thriller d'action), est un nouveau symptôme de ce qui ne va pas dans son cinéma : les films de Wright n'existent pas en terme d'expérience homogène, ce sont des oeuvres peu marquantes dont on se souvient pour quelques passages esthétiquement superbes qu'on pourrait qualifier de baroud d'honneur.


Si j'ai tant aimé Atonement mais que j'ai du mal à me souvenir d'autre chose que son magnifique plan-séquence sur Dunkerk ou sa fin absolument superbe, c'est parce que Joe Wright, n'écrivant jamais ses films, n'est un auteur qu'en terme de mise en scène, et tout auteur qu'il puisse être, il est surtout très irrégulier quand il s'agit de mettre en forme ses oeuvres. De même, si l'on se souvient d'Orgueil et Préjugés, n'est-ce pas finalement pour ses magnifiques scènes en intérieur, pleines de plans-séquences renversants, d'une vie envahissante, de costumes et décors parfaitement retranscrits?


Ses films ne marquent pas par leur écriture; on s'en remémore des fragments d'étincelles, des passages uniques, précieux, mais l'on doit reconnaître que le reste de son cinéma, autant les scènes de dialogue que les moments partagés entre amoureux, sont d'une platitude à bien des égards. Rien de bien marquant, de bien renversant : c'est comme si Wright ne faisait son cinéma que pour illustrer quelques moments de bravoure artistique facilement identifiables au sein d'un résultat plus que mitigé.


C'est exactement ce qui se passe avec Hanna : s'il commence plutôt bien, on se rend vite compte que la photographie peu inspirée d'Alwin H. Küchler (notamment à l'oeuvre sur R.I.P.D. Brigade Fantôme et Divergente) est bien partie pour inscrire l'oeuvre dans la lignée du Soliste; il n'est ainsi pas surprenant de se rendre compte que c'est globalement très plat et peu inspiré, si ce n'est certaines scènes durant lesquelles Wright peut faire ressortir sa passion pour les tableaux romantiques, illustrés par cette relation intéressante entre Hanna et le personnage de Jessica Barden.


Une amitié placée sur le signe de l'amour qui donne un peu de profondeur à ce personnage vide de tout, mais suffisamment bien interprété par la talentueuse et charismatique Saoirse Ronan pour qu'on accepte de suivre une histoire dont elle est à la fois le personnage principal et l'élément scénaristique majeur : si tout tourne autour d'elle, c'est qu'une révélation nous attend forcément au tournant.


Axer son scénario de telle manière était une erreur : David Farr, habitué des thrillers d'action, et l'inconnu Seth Lochhead qui signa là son seul film plombent complètement la portée de l'oeuvre en balançant sans aucune finesse l'explication des origines de la force d'Hanna, qu'on soupçonnait bien de ne pas être une jeune fille saine comme on en croise de partout, avec le pathos lié à l'identité de certains proches. C'est aussi toute l'attention que Wright a mis dans sa mise en scène pour appuyer le propos qui le rend à ce point inepte, et proche du ridicule, en répétant notamment un flashback essentiel sans inventivité ni impact émotionnel, la caméra tremblant beaucoup trop pour que l'action se pose vraiment et développe le drame décrit.


Penser réinventer la soupe alors qu'on nous ressert inlassablement les mêmes astuces de cuisine éventées depuis plus d'une quinzaine d'années ne rendra pas justice aux quelques séquences formellement réussies de l'oeuvre, notamment cette course-poursuite en sous-terrain durant laquelle Wright peut exprimer toute la facette clipesque de sa mise en scène, lui qui vient du milieu underground de la techno londonienne et aura réalisé de nombreux clips pour des groupes célèbres (dont The Chemical Brothers, à l'origine de la bo du film).


Montée de façon astucieuse, cette scène renversante pointe déjà le gros point noir du film : on ne ressent jamais les coups. Trop chorégraphiés (sans pour autant bien l'être), les combats, dans leur manière d'être exécutés, sont plus proches de la danse moderne que du thriller d'action haletant. Cela fait qu'on n'y croit jamais, surtout lorsqu'on voit Hanna taillader un gars à l'endroit où ses blessures, pas censées être encore faîtes, sont déjà maquillées, ou que le mollasson Eric Bana parade dans un plan-séquence tape-à-l'oeil durant lequel il massacre une bande d'espion avec une chorégraphie de bal.


L'idée de rapprocher le meurtre de l'art était certes louable, mais pas assez bien exploitée pour trouver une profondeur narrative : à peine évoquée par la mise en scène, elle est complètement délaissée par une écriture qui préfère balancer des clichés de personnages (Cate Blanchett est l'incarnation même du stéréotype de la dirigeante impitoyable et injuste) et bâcler sa fin, surement qu'elle ne savait plus quoi raconter sur un personnage à la base vide et sans grand intérêt, similaire, d'un certain côté, à une version discount des tueuses à gage que Luc Besson pouvait créer dans les années 70 (entre Nikita et la Natalie Portman de Léon).


En ressort un film peu conséquent, certes divertissant et sauvé par quelques séquences esthétiquement abouties (dont la scène entre les deux filles sous la tente, emplie de plans serrés et d'une beauté romantique inattendue) mais constamment dans le cliché, le prévisible et le banal, pour ne pas dire le bâclé. On ne s'attache à personne si ce n'est à l'actrice qui joue Hanna (mais jamais à son personnage), qu'on observe passer du monolithique au regard de tueuse expérimentée.


Une petite expérience inoffensive qui ne marquera pas une grande date dans la carrière de son réalisateur.

Créée

le 24 nov. 2019

Critique lue 199 fois

FloBerne

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