"If a frog had wings, he wouldn't bump his ass so much, follow me?"

Il aura fallu passer par une sévère déconvenue, à travers le drame en carton Fool for Love, pour que Robert Altman revienne (de manière parfaitement anti-chronologique) avec ses arguments les plus solides et dépoussière le western à l'époque du Nouvel Hollywood dans John McCabe. L'expérience est assez réjouissante, indépendamment de son contenu très peu porté sur la gaieté, tant elle démontre à quel point on peut découvrir des horizons insoupçonnés et stimulants dans des contrées que l'on croyait pourtant connaître de manière globale — en l'occurrence celles du western.


Les distances prises avec tous les mythes érigés en passages obligés du genre sont ici conséquentes : dans cette conquête de l'Ouest-là, il n'y a rien de particulièrement glorieux. Le mensonge est roi, les apparences on ne peut plus trompeuses. Quelques rayons de soleil parviennent à percer à travers la grisaille, à l'image de la relation douce et maladroite entre l'entrepreneur Warren Beatty et la maquerelle Julie Christie, mais on retient principalement la boue glacée sur laquelle tout ce petit microcosme s'est construit. Même si Altman ne se fait jamais misanthrope, il adopte un ton et une distance qui confèrent à la description de cette communauté (sertie de personnages secondaires non-négligés, comme à son habitude) une dimension un peu vaine, comme si tout ce qui se tramait dans ce coin était voué à l'échec. Si l'on considère d'une part la romance entre les deux protagonistes, à la fois touchante et bancale, ou d'autre part le seul personnage de Beatty, drapé dans son image de héros fabriquée de toutes pièces, la composante sarcastique paraît évidente.


Deux composantes formelles, mineures, peuvent rebuter. Dans l'image : cette neige filmée en surimpression dans la dernière partie, notamment lors de l'affrontement final, produit un effet particulièrement désagréable. C'est très moche. Et dans le son : avec tout le respect que l'on peut avoir pour Leonard Cohen, les ritournelles mélancoliques qui reviennent sans arrêt tout au long du film finissent par devenir presque agaçantes.


Mais ce qui reste sans doute le plus en mémoire, c'est bien l'absence manifeste de dramatisation et de spectaculaire, alors que les événements s'y prêtaient relativement. Les personnages sont complexes, leur psychologie est progressivement dévoilée, l'ambiance travaille son originalité très sobrement : dans ces conditions, rien n'obéit à des règles préétablies et le film file dans une direction incertaine. Warren Beatty est tout sauf un héros, et face à trois tueurs à ses trousses (dont un homme vêtu d'une peau d'ours à la carrure impressionnante, et un autre aux traits presque enfantins qui se montrera particulièrement cruel), il n'ira pas les affronter à la loyale dans la rue principale. De la même façon, Julie Christie interprète un personnage féminin assez subtil, lucide et déterminé, loin des canons habituels (surtout dans ce registre du western peu flatteur à leur égard).


Après les brutes sanguinaires dénuées de morale chez Peckinpah deux ans plus tôt, Altman souffle sur les flammes d'une autre déconstruction du western. Le pathétique se dilue dans la crasse, les émotions se fossilisent dans la neige, les hommes s'étripent dans l'indifférence. Et John McCabe vaut également le détour pour la vision du libéralisme qu'il renvoie, celle des États-Unis au début des années 70 qui regardaient le passage du 19ème au 20ème siècle. L'impuissance des institutions et la vérole humaine étaient déjà bien présentes et solidement ancrées dans le paysage.


http://www.je-mattarde.com/index.php?post/John-McCabe-de-Robert-Altman-1971

Morrinson
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le 20 nov. 2018

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Morrinson

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