You joking to me ? You joking to me ?

Après séance – Vu le 09/10/2019 (J1)


Le Joker, c’est 79 ans d’existence, et presque autant de séries de comics où il apparait. C’est l’ennemi le plus emblématique et le plus charismatique de Batman, et probablement même de n’importe quel superhéros. Rien qu’au cinéma (puisqu’il s’agit du médium qui nous intéresse ici), le Clown prince du crime a épousé les traits de cinq acteurs depuis 1966. A cela, il faut bien sûr ajouter les nombreux acteurs de doublage ayant prêté leur voix au super vilain dans les différents films d’animation, séries animées et jeux vidéo.


En 2017, la Warner et DC Films annoncent, après le très imparfait Batman V Superman, la purge Suicide Squad et la tragédie Justice League, vouloir produire un film solo sur le Joker indépendant de l’univers en miette DC. Il n’y avait pas de quoi être serein à cette annonce, et encore moins lorsque Todd Phillips a pris en main la caméra… Davantage habitué aux teen-movies et autres comédies, le bonhomme est surtout connu pour avoir réalisé Very Bad Trip, et commis ses deux suites.


Et puis arrive l’identité de l’acteur qui aura la lourde responsabilité de passer après Jared bling-bling Leto, les premiers posters et enfin la bande annonce qui scelleront à tout jamais ma hype pour ce projet insensé. Parce que c’est cela Joker, un projet complétement fou qui s’affranchit des codes actuels, de la folie des franchises et autres univers étendus, et de l’omniprésence dominante des divertissements d’action. Une intention noble, mais un pari risqué…


Gotham est ravagé par la pauvreté, les inégalités et la criminalité. Au sein de ce chaos en gestation, Arthur Fleck (Joaquin Phoenix) ère entre l’agence de clowns où il travaille et l’appartement miteux où il survit avec sa mère. Arthur est dépressif et est atteint d’un syndrome pseudo-bulbaire qui entraine des rires pathologiques incontrôlés. Dans ce contexte on-ne-peut-plus maussade, Arthur ne se raccroche qu’à son emploi nécessaire pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa vieille mère et à son rêve de devenir une star du stand-up. Ces seuls et fragiles liens avec la société vont être coupés un-à-un, jusqu’à ce que Arthur devienne le dangereux tueur psychotique Joker.



SUR LE FOND : 9 étoiles



Dire que Joker ne propose pas d’intrigue serait un poil sévère, mais il est vrai que le film sort des carcans habituels (introduction, élément déclencheur, quête, dénouement), pourtant bien ancrés dans les films dits « de comics ». Ici, nous n’allons suivre que la descente aux enfers d’Arthur dans un film sans morale ni principe. Le personnage machiavélique ne dégage en effet que tristesse et empathie, aveuglant presque le spectateur de l’ignominie de ses actes. Cette empathie n’est possible que grâce à l’excellente prestation de Joaquin Phoenix, pleine de sincérité, qui porte évidemment tout le film sur ses frêles épaules. Derrière la transformation physique impressionnante, Joaquin Phoenix transmet au spectateur tout le mal-être et tout le désarroi du personnage lorsque celui-ci perd emploi, rêve, famille, et relations...


Une plongée dans le psychisme chaotique d’un homme torturé à l’instar de ce qu’avait déjà pu proposer l’acteur dans le néanmoins décevant A Beautiful Day. C’est peut-être suite à cette prestation, valant tout de même un prix d’interprétation à Cannes, que Todd Phillips à proposer Joaquin Phoenix à la Warner qui pensait dans un premier temps à Leonardo DiCaprio. Autant dire que le palmarès des nominations pour l’Oscar du meilleur acteur va être gratiné cette année ! Entre DiCaprio pour Once upon a time… in Hollywood, Brad Pitt pour le même film ainsi que pour Ad Astra, Robert Downey Jr. pour Avengers : Endgame (ahah) et Joaquin Phoenix pour Joker, ça fait quand même pas mal de beau monde.



There is no punchline.



Nous aurons tout le temps de pronostiquer les nommés et lauréats des futures cérémonies, revenons pour le moment à ce film perturbant, à la limite de la malsanité. Parce qu’après avoir été un artiste déchu, un terroriste psychotique ou un gangster à protège-dents plaqué or, le Joker n’est aujourd’hui qu’un pauvre homme maltraité par la société et atteint d’un handicap neurologique. Plus que jamais, le Joker est dans le film de Todd Phillips le fruit de notre société capitaliste, individualiste et inégalitaire renforçant encore et encore la marginalisation des marginalisés. Le film se permet donc de traiter la lutte des classes, le désenracinement des élites notamment politiques et la manipulation des médias. Si bien que le Joker, dans l’hystérie de masse gagnant Gotham, devient avec son masque de clown un symbole, un point de ralliement et de soulèvement.


Un peu comme V dans V pour Vendetta, sauf qu’ici le New York des années 1980 a remplacé le Londres des années 2030. C’est en effet le quartier de Harlem qui donne vie à Gotham City dans Joker, en 1981 si on en croit les films à l’affiche (Blow out notamment). Le fait de situer l’intrigue du film début 1980 n’est pas un hasard. A cette époque, la stagflation, le deuxième choc pétrolier et les tensions aux Moyen-Orient crispent les États-Unis. Une société au bord de la crise, parfaite pour faire naitre des énergumènes comme le Joker. Toutefois, le film reste très intemporel. D’un côté, il fait clairement écho à certains mouvements de contestation actuels, de l’autre il est habité par une influence flagrante des années 70 et de son cinéma. Pas étonnant de retrouver des films comme Taxi Driver ou La valse des pantins parmi les influences principales de Todd Phillips pour Joker.


Il faut dire que l’aura de Martin Scorsese plane sur le projet depuis sa genèse. Initialement prévu à la production, Scorsese a préféré quitter le projet en juillet 2018 afin de consacrer son temps à la déclaration de conneries plus grosse que lui du type « les films de superhéros ne sont pas du cinéma gnah gnah gnah… ». On mettra de côté le flair imparable du producteur qui se retire d’un projet battant tous les records au box-office et se remboursant au quadruple en un seul week-end. Sur le fond, cette déclaration, qui commence tout de même par « Je ne les regarde pas, mais », est aussi stupide que de déclarer :


« Je n’en mange pas. Mais les pizzas, et notamment les Quatre fromages, ne sont pas de la nourriture ».


Je ne suis évidemment pas en train de dire que tous les films du MCU surpassent tous les films de Martin Scorsese, loin de là. Mais entre Hugo Cabret et Avengers : Infinity War, jugez-moi si vous voulez, mais je choisirai le « film de divertissement qui n’est pas fait par des humains qui essayent de communiquer des émotions et des sentiments ».



Is it just me, or is it getting crazier out there ?



Bref, pour revenir aux influences de Todd Phillips, la présence de Robert De Niro dans le rôle de Murray Franklin relève presque du passage de témoin. Dans La valse des pantins, De Niro kidnappait un présentateur de talk-show pour devenir célèbre, ici c’est lui qui fait les frais d’un autre artiste raté. Après avoir été la victime de la société dans les deux films scorsesiens précités, De Niro est dans Joker son complice. La présence de l’acteur est donc intéressante dans ce que cela signifie sur la volonté de Todd Phillips d’affilier son film à une certaine histoire du cinéma. Mais sa performance est assez oubliable, essentiellement par manque de place. Et cela sera le cas globalement pour l’ensemble des personnages secondaires. Les seuls réels développements de personnage ne sont en réalité présents que pour fausser le spectateur, l’emmener vers de mauvaises pistes et créer en lui le même doute que ressent Arthur Fleck.


C’est le cas des scènes avec la famille Wayne qui heureusement n’aboutissent pas à la révélation fraternelle ou du personnage de Sophie Dumond (Zazie Beetz) qui est scénaristiquement très important. La relation entre Arthur et Sophie n’est pas crédible une seconde, j’ai donc longtemps cru que cela serait le gros défaut du film. Mais la révélation façon Fight Club est doublement intelligente : elle nous permet de montrer la réalité alternative qu’Arthur s’est créée, et surtout elle brise le contrat passé avec le réalisateur installant le spectateur dans une situation de doute permanent.


Au final, sur le fond, évidemment que Joker n’est pas exempt de tout reproche. On pourrait souligner quelques lourdeurs inutiles, notamment sur le rattachement de l’œuvre à l’univers Batman, une vision manichéenne des riches et des pauvres, ou une fin quelque peu hésitante. Mais la sortie d’un film de ce calibre en 2019, aussi perturbant, fascinant et épuisant, relève du miracle. Et je suis quasiment certain que Joker aura un impact important dans la production cinématographique des années à venir. Ce film, et son succès commercial surtout, bousculera les codes établis depuis des décennies et sera à l’origine d’un renouvellement d’Hollywood. On parie ?



SUR LA FORME : 8 étoiles



Dès les premières images, nous pouvions nous attendre à une esthétique particulièrement léchée. Et Joker tient sa promesse : les jeux de couleurs, de lumières, d’ombres et de reflets sont incroyables. C’est Lawrence Sher à la photographie, proche collaborateur de Todd Phillips et donc habitué à un tout autre genre. Pourtant, le bonhomme signe sans doute deux des plus belles photos de l’année avec Joker et Godzilla II : Roi des monstres, que je n’ai pas vu mais qui avait l’air magnifique sur cet aspect. Les costumes sont également fabuleux. Les sapes d’Arthur Fleck deviennent de plus en plus sombres suivant l’état psychologique du personnage, jusqu’à cette explosion de couleurs dans le costume final rappelant celui de Cesar Romero dans le Batman de 1966. Et les décors ne sont pas non plus en reste, que ce soit l’appartement délabré d’Arthur Fleck ou la ville de Gotham, probablement la plus crédible que nous ayons vu au cinéma. En tout cas, la trajectoire est diamétralement opposée à celle des films du MCU qui se tournent quasi-exclusivement sur fonds verts.


Dans ce décor réel, Todd Phillips trimballe sa caméra en alternant caméras à l’épaule et lents travellings, le tout dans une mise en scène parfois très théâtrale. Cela crée une atmosphère malaisante, parfois à la limite de la claustrophobie. Soyons clair, Todd Phillips est loin d’être un réalisateur qui s’est particulièrement distingué par ses choix de mise en scène jusqu’ici. Fasciné par l’intégration et l’irrévérence, Todd Phillips commence par réaliser deux documentaires sur une fraternité étudiante où il finit dans une cage pour chien, et sur GG Allin, un chanteur de punk hardcore connu essentiellement pour ses frasques sur scènes (nudité, mutilations, humiliations etc.). Il effectue rapidement un virage à 180° en se spécialisant dans la comédie potache. Films ultra-éclairés, mise en scène purement fonctionnelle, pas de quoi développer une patte artistique particulièrement intéressante. Et Joker, bien qu’il sorte du lot dans sa filmographie, n’est pas non plus la plus grosse claque technique et esthétique de la décennie.



I used to think that my life was a tragedy, but now I realize, it's a comedy.



Quoi qu’il en soit, en plus de la montée en gamme du réalisateur qu’on ne peut nier, Joker comporte quelques pépites de mise en scène qui personnellement ont fait leur petit effet. Je peux citer la scène du métro où le clignotement des lumières représente parfaitement l’équilibre fébrile du personnage entre passivité et violence, la scène de danse dans la salle de bain pleine de poésie qui va assurément devenir iconique et qui, au passage, est une impro totale, ou les différents plans devant cet immense escalier symbolisant les difficultés d’Arthur. A de nombreuses reprises, nous le voyons gravir ces marches de la même manière qu’il tente de surmonter ses problèmes. Puis, une fois qu’Arthur est devenu définitivement le Joker, il descend ces marches pour sombrer dans la violence sur Rock & Roll Part II de Gary Glitter qui ne manquera pas de créer la polémique.


Profitons-en pour parler un peu musique. La bande originale est partagée entre des morceaux de pop/rock/blues rappelant les 70s comme celle précitée, et des compositions originales signées Hildur Guðnadóttir. Une BO lancinante, austère et perturbante, à l’image du désarroi et de la folie du personnage. Nous avions déjà eu l’occasion d’entendre son instrument de prédilection, le violoncelle, dans Prisoners ou Premier contact de Villeneuve entre autres.



What do you get when you cross a mentally ill loner with a society that abandons him and treats him like trash ? You get what you fuckin' deserve !



L’essai doit encore être transformé. Joker a plutôt des allures de sortie de route bienheureuse pour le moment, mais peut-être que prochainement nous pourrons compter Todd Phillips parmi cette génération de brillants réalisateurs (Villeneuve, Chazelle ou Garland) qui fera le cinéma des prochaines décennies. Mais ce film va assurément diriger la carrière de Todd Phillips vers un autre horizon (ou pas) et peut-être même transformer l’industrie du cinéma. Le Lion d’or de la Mostra de Venise, le succès critique et commercial, les éventuelles futures statuettes aux prochains Oscars, il y aura un avant et un après Joker.


Récemment, Francis Ford Coppola déclarait qu’un film comme Le Parrain nous pourrait plus voir le jour aujourd’hui faute d’implication des studios dans des projets d’une telle envergure. Loin de moi l’idée de comparer les deux œuvres mais Le Parrain a couté 6,5 millions de dollars en 1972 ce qui représente environ 40,3 millions de dollars actuels en raison de l’inflation. Avec un budget de 55 millions de dollars, Joker semble tordre le cou à cette idée que les studios ont aujourd’hui perdu tout leur courage, leur audace. Et si, pour une fois, à la place du sempiternel « C’était mieux avant », nous nous autorisions un optimiste « Ça serait mieux plus tard ».


Bonus acteur : OUI


Le Bonus acteur a pour effet d’ajouter 0,5 étoile sur la note totale du film. Il est attribué sans surprise à Joaquin Phoenix. A l’instar de Christian Bale pour Vice, le bonus n’est pas attribué en raison de la transformation physique de l’acteur. Ce n’est pas nouveau, Joaquin Phoenix est talentueux. Il créait déjà cette fascination glaçante dans A Beautiful Day, et m’avait bouleversé dans Her. Son travail dans Joker semble être l’alliance parfaite entre ces deux prestations bien différentes et mérite amplement son petit bonus.


Malus acteur : NON



NOTE TOTALE : 9 étoiles


Créée

le 17 oct. 2019

Critique lue 340 fois

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Spockyface

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