Chantage à l'anglaise
Certains considèreront Le Roi Arthur : La Légende d'Excalibur et Aladdin comme des errements de la part de Guy Ritchie. Ils se montreront donc méfiants devant un film se prévalant de son nom à la...
le 5 févr. 2020
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Après séance – Vu le 15/02/2020 (J11)
Pour être honnête, je suis allé voir The Gentlemen sans grande attente. J’ai pris connaissance du projet à sa sortie en salle, la bande annonce ne m’a que moyennement chauffé et Guy Ritchie n’est pas un réalisateur que je suis particulièrement. A vrai dire, je n’ai vu qu’Arnaques, crimes et botanique, Snatch (que je m’amuse à appeler Arnaques, crimes et botanique 2) ainsi que les deux Sherlock Holmes. Qu’un petit tiers de sa filmographie, mais comme ils sont souvent présentés comme ce que le bonhomme a fait de mieux, ça ne me donne pas franchement envie de découvrir le reste. Ne parlons même pas de ces réalisations récentes : Le Roi Arthur : La légende d’Excalibur et le remake live-action Aladdin… En fait, en m’installant dans la salle, ma principale motivation était de pouvoir muscler un peu ma vanne pas drôle en matant Arnaques, crimes et botanique 3…
Mon attente a-t-elle était comblée ? Eh bien pas vraiment. The Gentlemen est un vrai bon film (zut). Même si Guy Ritchie renoue avec ses premiers amours, je ne peux pas honnêtement parler d’un Arnaques, crimes et botanique 3. En matant Snatch, j’avais vraiment eu l’impression qu’Arnaques, crimes et botanique en était le brouillon. Si bien que personnellement, si vous avez déjà vu Snatch, je trouve que ça n’a pas grand intérêt de regarder Arnaques, crimes et botanique. Ici, même si on retrouve une comédie de gangster avec une intrigue aussi entremêlée qu’une paire d’écouteurs passée au sèche-linge, Guy Ritchie évite tout de même l’auto-caricature. Dire qu’on ne retrouve pas les petits ingrédients qui ont fait le succès de la recette Ritchie début des années 2000 serait mentir, mais je m’attendais à beaucoup plus de facilités.
Parce que c’est vrai que dans The Gentlemen, on retrouve LE milieu privilégié du réalisateur, à savoir la mafia britannique de la drogue. Et ici, dans le trafic de marijuana, Mickey Pearson (Matthew McConaughey) est le big boss. Au fil des années, il a développé un véritable empire et a gagné le respect de tous. Mais lorsqu’il annonce son retrait des affaires et son intention de revendre toute son industrie au multimillionnaire Mathew Berger (Jeremy Strong), l’ordre naturel de cette jungle est bousculé. Les ambitieux se réveillent, les coups bas et les trahisons s’enchainent. Mais en tant que spectateur, nous ne suivons pas directement cette bataille pour le trône. En réalité, les évènements sont narrés par le détective Fletcher (Hugh Grant avec prothèses et maquillages, ou simplement avec vieillesse) qui tente de faire chanter le bras droit de Pearson, Raymond Smith (Charlie Hunnam) en lui présentant tout ce qu’il sait.
On peut donc déjà relever une « originalité » d’écriture qui va s’avérer être intéressante et utile durant tout le long du film. The Gentlemen propose un scénario complexe, entremêlé et bien écrit, à la fois s’agissant de l’intrigue en tant que telle avec ses différents rebondissements, trahisons et quiproquos, mais également dans la façon de raconter l’histoire. Durant toute la première moitié du film, nous suivons le point de vue de Fletcher qui raconte à Raymond une histoire qu’il connait déjà puisqu’il en est un des principaux protagonistes. Ça permet aux deux personnages d’échanger, de se couper en plein milieu d’une action, ce qui apporte une importante dose d’humour au récit. Il y a vraiment eu un soin particulier dans l’écriture je trouve, le scénario est réellement abouti. Peut-être que cela s’explique par le fait qu’il ait été modifié jusque durant le tournage.
Après, je suis tout de même obligé de pointer un petit défaut à ce scénario bien ficelé. Incohérence ou négligence, je ne sais pas, mais le film abandonne totalement l’élément central de son intrigue sans lui apporter de dénouement. Tout le film découle de la volonté de Mickey Pearson de prendre sa retraite. Il a construit son empire sur sa réputation de dur, sur ses méthodes peu conventionnelles. Mais avec le temps, Pearson s’est embourgeoisé, il a pris gout à son petit confort et aux sauteries mondaines. Si bien que son rythme de vie n’est plus en adéquation avec l’image brutale qu’il doit donner de lui. Il veut donc se retirer du business avant que la situation ne soit vraiment plus tenable. Pourtant, à la fin du film, la transaction est annulée et rien n’est précisé sur la suite des affaires. Il renonce vraisemblablement à prendre sa retraite, tout ceci n’a donc servi à rien… A moins qu’il faille voir Guy Ritchie lui-même dans le personnage de Mickey Pearson, qui se demande s’il n’est pas trop vieux pour faire des comédies de gangsters mais qui y retourne quand même.
There's only one rule in the jungle : when the lion's hungry, he eats !
La qualité d’écriture que je mentionnais un peu plus haut, nous la retrouvons également dans les personnages. Aidé par un casting cinq étoiles, Guy Ritchie a pu proposer une galerie de personnages, tous plus intéressant et drôle que les autres. Bien qu’aucun ne jouisse d’un développement très important, chaque protagoniste a vraiment une personnalité forte qui lui est propre. Mickey Pearson évidemment, en self-made man issu d’une famille cassos américaine. Raymond son bras droit loyal, qui est en réalité le personnage que nous suivons le plus et qui est campé par un Charlie Hunnam hyper crédible en faux-calme à larges épaules. Fletcher, le détective coquin (dans tous les sens du terme) qui est le narrateur de l’histoire et qui permet plusieurs parallèles sympas avec le médium cinéma. A ce trio principal, il convient d’ajouter une belle brochette de personnages plus secondaires, même si leur développement n’en est pas moins maitrisé. Mention spéciale pour Colin Farrell, en coach de MMA à la frontière entre élégance et plouc. On peut toutefois déplorer que tout ce petit monde reste entre paires de coui***, The Gentlemen ne propose en effet aucun vrai personnage fort féminin. Seule réelle présence, celle de Michelle Dockery interprétant Rosalind, la femme de Mickey Pearson. Et encore, elle se retrouve dans la position de demoiselle en détresse à la fin et doit être sauver par son homme, dommage.
C’est à se demander s’il n’y a pas un petit message de Guy Ritchie du type « Lâchez-moi avec vos revendications ». Entre ce microcosme masco-masculin, les personnages féminins qui meurent (Laura, Coco Sumner) ou se font sauver par les hommes, DryEye (Henry Golding) qui représente la nouvelle génération qui tente d’apprendre de vieux tours aux anciens et qui se fait remettre à sa place (si tant est que Guy Ritchie se considère comme un ancien), ou Big Dave (Eddie Marsan), le rédacteur en chef véreux d’un tabloïd à scandale, qui pourrait constituer une critique d’une forme de presse actuelle ou des réseaux sociaux en recherche de buzz continuelle.
Petit aparté, il y a une troublante similitude entre la fin proposée à ce personnage et un épisode de Black Mirror (hymne nationale). On peut difficilement omettre ce plagiat évident, même si ici, le procédé n’est utilisé qu’à des fins comiques et ne pose pas les dilemmes et questionnements moraux développés par la série Netflix.
Enfin, dans la catégorie « Guy Ritchie fait peut-être son vieux con en réaction à notre société contemporaine », on peut relever une forme d’humour sur fond de racisme ordinaire qui va faire grincer quelques dents. C’est totalement assumé dans le film, à la fois à l’encontre de personnages asiatiques avec la « RICEnse to kill » ou black lorsque Coach explique qu’« abruti noir » est une insulte factuelle et par conséquent non-raciste. Je lui accorde volontiers un fond de vérité mais c’est clair que c’est loin d’être la position la plus consensuelle actuellement. Elle n’a d’ailleurs pas manqué de créer sa petite polémique. Objectif atteint !
Contrairement aux journalistes de Slate, je ne pense que The Gentlemen soit un film d’homme blanc, par et pour les hommes blancs, sur la rage des hommes blancs. Je reconnais une certaine rugosité dans le message, mais à mon sens, il porte davantage sur les rapports de force, la discordance entre ce qu’on souhaite faire et ce qu’on souhaite montrer, et l’importance de la réputation. Des éléments qui peuvent être facilement transposables à l’industrie cinématographique, surtout que le film ne se prive pas de nous y inviter.
Parce que si globalement, Guy Ritchie recycle dans The Gentlemen la plupart de ses gimmicks de réalisation (on en parle plus en détail après), il propose surtout une mise en abyme intéressante sur le monde du cinéma, notamment durant la première demi-heure du film. En plus des thématiques traitées qui peuvent être transposées, la forme du long métrage est également un terrain de jeu, un espace d’expression pour le réalisateur. Parlez de film méta serait inexact mais il y a tout de même quelques procédés très originaux apportés grâce au personnage de Hugh Grant : Il présente ses éléments d’enquête sous la forme d’un scénario, le format de l’image passe d’un 16/9 à un 4/3 lorsque le personnage en fait référence et il y a même des plans extradiégétiques sur des caméras en train de filmer lorsque le personnage crie « Moteur, action ! ». Plus tard, Hugh Grant et Charlie Hunnam s’essayeront au doublage d’une scène, sans compter les nombreux arrêts sur image, rembobinages etc. Le personnage de Fletcher finira même le film dans les bureaux de Miramax (la société produisant le film) pour tenter de vendre son script, tel Guy Ritchie en 2018 qui leur a vendu le scénario de The Gentlemen.
C’est assez rafraichissant de voir ce type d’artifices, rappelant par exemple la scène des cigarette burns dans Fight club. Par ailleurs, ils s’insèrent parfaitement avec la réalisation caractéristique de Guy Ritchie. On retrouve le montage brut et percutant reconnaissable entre mille, les flashbacks, les flashforwards, et les coupes sur-vitaminées qu’on pouvait déjà se prendre en pleine poire devant Snatch ou Sherlock Holmes. Peut-être un vestige de son travail sur les publicités et les clips, faut que ça aille vite pour accrocher le spectateur. Pour cela, quoi de mieux que de tuer son personnage principal dès la deuxième minute ? Bref, le film a beau durer quasiment deux heures, on n’a pas le temps de s’ennuyer tant le rythme est énergique.
Malgré tout, on prend plaisir à sillonner cette Angleterre dépravée où les gangsters chics et brutes se rencontrent dans les pubs crasseux. D’ailleurs, plus que sur les décors ou la photographie, il y a un vrai beau travail sur les costumes dans The Gentlemen. Tous les personnages sont frappés d’une sorte d’élégance, de prestance. De Charlie Hunnam et son par-dessus capable de dissimuler une mitraillette, à Colin Farrell qui nous fait profiter de sa collection de survet’ chébran. Chaque personnage a une personnalité bien marquée.
If you wish to be the king of the jungle, it’s not enough to act like a king. You must be the king.
A l’inverse, la bande originale n’est pas très marquante. Le film est ponctué de titres allant majoritairement du rock-folk au blues, largement typés 70’s, ce qui semble être devenu la norme dans le cinéma américain (et anglais pour le coup). La profonde nostalgie qui plane autour de cette période devient vraiment préoccupante… On a notamment le droit aux claviers envoutants et à la voix enivrante de Bryan Ferry sur le titre In Every Dream Home A Heartache de Roxy Music. Autre style, autre époque, The Gentlemen s’achève sur le titre Boxes of Bush créé pendant le film par le gang de lutteurs MMA, et interprété par Bugzy Malone. On constate qu’une bonne partie de la BO, comme pour le casting d’ailleurs, est issue du Royaume-Uni.
C’est peut-être avant tout cela The Gentlemen, le retour de Guy Ritchie au pays du thé après ses excursions outre-Atlantique ? 22 millions de dollars très bien investis pour mettre en avant les acteurs, le cadre et la culture britannique ? On passe en tout cas un bon moment devant The Gentlemen, de quoi sortir avec l’envie de boire un Stout bien sec et amer !
Bonus acteur : NON
Malus acteur : NON
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Créée
le 1 mars 2020
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