L'Échine du diable par Remy Pignatiello
Guillermo del Toro le dit souvent, mais honnêtement, on n'a pas besoin de lui pour s'en douter : Le labyrinthe de Pan et L'échine du diable sont pensés comme des compagnons. Mêmes mélanges des mêmes thématiques, mêmes structures, quasiment les mêmes jeux de personnages.
Ici, on retrouve donc la même volonté de dépeindre les souffrances d'enfants malmenés par des adultes les privant de leur innocence.
Ce qui surprend, c'est la profonde dualité qui existe entre ces enfants malléables et s'adaptant rapidement à ce qui se passe autour d'eux, aux gens qui les entourent, et les adultes, figés dans des désirs vains d'un autre temps. Alors que Jaime et Carlos s'apprivoisent très rapidement, Jacinto reste bloqué dans son avidité amorale, tandis que le Dr Casares et Carmen restent coincés dans les mêmes comportements qu'ils ont depuis 20 ans.
Mais tout ceci est logique : Jacinto a fait lui même partie de l'orphelinat, apprend-t'on. Carmen, elle, dit à Jacinto après qu'ils aient fait l'amour "c'est la dernière fois", ce qui le fait doucement rire, indiquant que c'est probablement une énième "dernière fois". Quant à Casares, il fait la cour à Carmen depuis des années.
Qu'est-ce qu'un fantôme, demande le film ? Un instant de douleur. Quelque chose de mort qui semble vivant. Une émotion suspendue dans le temps. Comme une photographie floue.
Le film donne ainsi toutes les clés de sa narration dès les premières secondes, et L'échine est donc plus un film fataliste qu'un film optimiste (probablement sa plus grande différence de ton avec Le labyrinthe de Pan). "Beaucoup d'entre vous mourront" nous dit Santi le fantôme. Mais est-ce lui le fantôme ? Ou Jacinto, dont on nous montre une photo de lui bébé où il est flou ? Jacinto, cet enfant qui n'aurait pas du naître, ce prince sans royaume, métaphore à peine déguisée du fascisme.
Au final, qui est "celui qui soupire" ? Ce sont ces rêves perdus, ces vies gâchées par une guerre qui sacrifie les corps et les âmes, les adultes et les enfants, sans réel but ni raison, si ce n'est l'avidité et la colère.
Guillermo del Toro livre cette métaphore avec une maestria visuelle épatante, malgré une 1ere moitié un peu longue à se mettre en place. Soutenu par une troupe d'acteurs au diapason, y compris une troupe d'enfants impeccable, tout concourt à faire de L'échine du diable une pièce majeure du cinéma espagnol, et un sommet dans la carrière de son réalisateur.
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