Après l'excellent La Isla Minima, Alberto Rodriguez revient sur nos écrans avec un nouveau film. Il s'agit de L'homme aux mille visages, un thriller politique sur un scandale qui a secoué le gouvernement espagnol durant les années 90.
C'est la confusion qui prédomine lors de la première demi-heure de l'histoire. Nous sommes en 1995, deux hommes discutent dans un hall d'aéroport, avant que l'un d'eux s'en aille. Puis, on va se retrouver en 1986 pour mieux faire la connaissance de Francisco Paesa (Eduard Fernandez). C'est l'homme aux mille visages, celui qui quittait le hall de l'aéroport. Son incroyable arnaque va nous être racontée par Jesus Camoes (José Coronado), qui était son interlocuteur en 1995. Jesus est un pilote, mais surtout l'ami et bras droit de Francisco. Afin que la suite soit compréhensible, on nous explique le parcours de cet homme et comment il va faire la rencontre de Luis Roldan (Carlos Santos). Après cette mise en place, on va se plonger dans une arnaque digne de David Mamet avec la complicité de Keyser Söse.
Francisco Pasea est un menteur et un manipulateur. L'homme aux mille visages se révèle être rapidement, l'homme aux mille mensonges. Il a travaillé pour les services secrets, il a ses réseaux et de l'argent, avant que tout s'effondre mais le hasard de la vie, va lui offrir une nouvelle chance de renflouer son compte bancaire. Le jeu est dangereux, mais il a ce besoin irrépressible de tenter sa chance en risquant sa vie. Il est irrésistiblement attiré par l'argent et va trouver en Luis Roldan, le parfait pigeon à déplumer, même si son crâne est déjà dénudé. A travers cet homme important de l'état espagnol, il va pousser le vice encore plus loin en plongeant ses mains dans les poches du pays. L'homme est gourmand, c'est un joueur compulsif à très grande échelle et pour parvenir à ses fins, il va se jouer de tous et avec tout le monde.
L'histoire est réelle, elle a même eu des répercussions en France et pourtant, elle ne me parle pas. Le film est l'occasion de découvrir cette arnaque complexe de haut-vol. L'argent est un moteur, une source de motivation, mais il ne fait pas forcément le bonheur. C'est en substance ce que l'on va découvrir durant 2h, sur un étonnant sens du rythme soutenu par une musique appuyant les accélérations narratives, dès que qu'une arnaque ou manipulation se met en place. La densité du récit à tiroirs tient le spectateur en haleine. Elle est mijotée avec un soupçon d'humour noir et une pincée de paranoïa. Cela part dans tout les sens en nous donnant l'impression de nous perdre, alors qu'Alberto Rodriguez maîtrise parfaitement son oeuvre. Il faut s'accrocher pour ne pas décrocher face à la pléthore de personnages que l'on va croiser, tout en voyageant dans différents pays. On a parfois le vertige, avant de plonger dans une forme de paranoïa aux côtés de Francisco Paesa. Le personnage est sympathique, il a une bonne bouille et ses rapports avec sa femme, lui donne un visage humain.
La performance d'Eduard Fernandez est particulièrement efficace, il ne donne jamais le sentiment d'être un salopard, alors qu'au fond... Il a une impressionnante palette d'émotions. Elle est toute en subtilités, à la fois manipulateur, séducteur, menteur, etc.. La peur, le doute et son aplomb font aussi partis de sa panoplie. C'est surtout un homme insaisissable, se suffisant à lui-même. L'argent et le pouvoir sont ses principaux moteurs, au détriment de sa vie de couple et sociale. Sa soif est contagieuse et il faut attendre la fin pour mieux cerner l'homme, ou du moins comprendre ou tout cela va nous mener, avant que le clap de fin montre un autre visage et nous laisse avec de nouvelles interrogations, insaisissable, je vous dis.
Un film en trois parties avec plusieurs retournements de situations, de quoi satisfaire les aficionados des récits à tiroirs. C'est passionnant, excellemment mis en scène avec un montage nous maintenant la tête au-dessus de l'eau, en évitant de nous perdre malgré la complexité des faits. Alberto Rodriguez confirme tout son talent et il serait de se faire des séances de rattrapage avec ses premières œuvres Les Sept Vierges et Groupe d'élite.