La sortie d’un nouveau Wes Anderson, c’est toujours un petit événement, la promesse de la découverte d’un nouveau film au style décalé mais qui, pour sûr, saura nous surprendre. Mon histoire avec le réalisateur a commencé avec The Grand Budapest Hotel, son dernier film jusqu’ici, dont l’histoire, l’ambiance et la réalisation m’avaient enchanté au plus haut point. Wes Anderson a su faire de sa « patte » une marque de fabrique qui génère attentes et enthousiasme à chaque fois, comme c’est le cas, aujourd’hui, pour L’Île aux Chiens. Deuxième film en stop-motion du cinéaste après l’excellent Fantastic Mr. Fox, il affichait un casting cinq étoiles et beaucoup d’espoirs étaient placés sur lui. Je peux vous le dire, soyez rassurés, Wes Anderson n’a absolument rien perdu, bien au contraire.
Le choix de la stop-motion n’est pas un choix simple, c’est un véritable travail de fourmi mobilisant des dizaines d’animateurs pour donner vie à ces multiples personnages. C’est aussi un genre d’animation que l’on n’a plus réellement l’habitude de voir mise en avant, à l’époque des effets spéciaux numériques. Mais Wes Anderson est un cinéaste décalé qui ne fait pas comme les autres. Dans son Japon dystopique, une maladie touchant les chiens force le pouvoir en place à les exiler sur une île-poubelle afin de les mettre en quarantaine. Rapidement, un clivage se crée entre humains et chiens, souvent considérés comme indissociables mais où, ici, les chiens sont chassés, et ces derniers survivent comme ils peuvent sur leur île.
Comme dans une véritable volonté de s’imprégner de la culture nippone, le cinéaste avait explicitement cité Akira Kurosawa comme une influence majeure dans son Île aux Chiens. Une influence que l’on peut d’ailleurs remarquer, par exemple, à travers les personnages principaux que sont Chief, Rex, Duke, Boss et King, qui font écho à ceux des Sept Samouraïs, l’un des chefs d’œuvre du maître japonais, mettant en avant des personnages braves et vaillants décidant de partir dans une mission de sauvetage désespérée.
Bien entendu, l’objectif du réalisateur n’était pas de se laisser écraser par l’enjeu et l’aura de son illustre collègue. Ici, Wes Anderson fait du Wes Anderson, et il le fait magnifiquement bien. On retrouve sa fabuleuse science de la composition des plans, toujours d’une singulière harmonie, basés sur des effets de symétrie et de perspectives, déjà très présents dans ses précédents films. On appréciera également la beauté des décors, les superbes jeux de couleurs, ici très chatoyantes, plus que dans la plupart de ses films précédents, souvent sur des tons plus pastel. Le cinéaste appuie ici davantage les jeux de lumière pour parfois mettre l’attention sur un personnage, ou parfois créer une atmosphère inquiétante.
Son Île aux Chiens se divise également en chapitres, classique des films d’Anderson, et il n’hésite pas à briser le quatrième mur, envoyant des clins d’œil directs au spectateur ou utilisant divers subterfuges pour traduire le japonais à nos oreilles souvent peu coutumières de la langue du pays du soleil levant. L’Île aux Chiens est donc une fabuleuse synthèse de tout ce qui fait le charme du cinéma de Wes Anderson, où le cinéaste nous transporte dans cette aventure trépidante, colorée et, surtout, au discours engagé et plein de sens.
Car, si sur la forme, L’Île aux Chiens est un véritable tour de force superbement réussi, sur le fond, c’est aussi un film engagé qui traite de problématiques parfois passées, mais aussi d’actualité. Clairement, le film s’intéresse à la relation entre les Hommes et les chiens, et les animaux en général. En les dotant de la capacité à réfléchir et à parler, les chiens sont humanisés pour mieux faire transparaître l’importance d’être dans le devoir de les traiter comme nos égaux, et non pas comme des jouets ou des distractions que l’on peut abandonner sans aucun remords. Nombre d’animaux sont abandonnés chaque année, et Wes Anderson envoie ici un signal pour réconcilier humains et canidés pour, même si cela paraît cliché, rappeler que « le chien est le meilleur ami de l’Homme ».
Par ailleurs, le personnage de Kobayashi et son gouvernement, dirigeant la ville par la terreur, basant leur domination et obtenant le soutien du peuple à travers le rejet d’une population particulière rappelle aux sombres heures des dictatures du XXe siècle. Une manière, en somme, de rendre un peu d’humilité aux humains pour les inciter à plus de bienveillance entre eux, mais aussi avec les animaux. Car Wes Anderson est sans aucun doute un amoureux des chiens. Après tout, le titre original du film, Isle of Dogs, ne se prononce-t-il pas « I love dogs » ?
L’Île aux Chiens est donc en effet une véritable réussite en tous points. Visuellement sublime, rempli de belles trouvailles, au discours intelligent et touchant, c’est probablement l’une des plus grandes réussites de Wes Anderson, et un des tous meilleurs films de l’année en cours. Décidément, le cinéaste semble encore largement avoir de la réserve, avec une incroyable capacité à nous surprendre, qui ne fait que nous enthousiasmer encore plus dans l’attente de ses futurs projets. D’ici là, L’Île aux Chiens est définitivement un film à voir et à revoir.