Wes Anderson est ce qu'on pourrait appeler un original tant sur ses histoires que sur sa façon de les mettre en scènes. Dans L'Île aux chiens, le réalisateur texan renoue avec une technique découverte pour son film La Vie aquatique, le stop-motion. Ce procédé laborieux qui nécessite des milliers de prises de vue pour monter un film a cette incroyable capacité de donner vie à des objets inanimés.
Dans la ville côtière de Megasaki, le maire Kobayashi décide de placer en quarantaine tous les chiens de la ville sur une île. Ces derniers étaient en effet contaminés par une mystérieuse grippe les rendant, entre autres, potentiellement agressifs. Plusieurs mois après le début de cette mesure, un avion s'écrase sur l'île où les chiens tentent de survivre. Dans cet avion, le jeune Atari, neveu de Kobayashi, qui est venu à la recherche de son chien garde du corps, Spots. Dans sa quête, Atari sera aidé par une petite meute de chiens. Pendant ce temps, alors que les recherches s'intensifient pour retrouver le jeune pilote, l'intrépide Tracy tente de mettre à jour une terrible conspiration visant à éliminer la race canine.
Anderson sort ici de sa zone de confort. Habitué aux paysages bucoliques (l'île dans Moonrise Kingdom, la montagne dans The Grand Budapest Hotel ou les fonds marins dans La Vie aquatique), l'univers de son dernier film est assez inédit avec d'une part une grande ville bouillonnante et d'autre part cette décharge à ciel ouvert faisant office de fourrière géante où croupissent des chiens à moitié crevés. Malgré ce changement de cadre, le réalisateur garde en ligne directrice une esthétique très épuré mais dont aucun détail, que ce soit les textures ou les couleurs, ne semble être laissé au hasard.
Certains voient dans ce film une œuvre politique. On retrouve dans cette société japonaise dystopique de nombreux griefs soulevés depuis de nombreuses années : l'environnement, l'exclusion et le conditionnement de la population par des politiques. On retrouve ces notions dans de nombreux films, mais une scène, lorsque des nouveaux politiques beaucoup plus jeunes prennent le pouvoir, mérite que l'on s'y attarde. L'ordre du jour du conseil municipal est de déterminer la peine encouru pour les personnes maltraitant un chien. L'un des membres propose la peine de mort. Cet excès montre que les opprimés d'un jour peuvent tout aussi bien se révéler bourreaux une fois au pouvoir. L'extrémisme, qu'il soit pro-chat ou pro-chien, se révèle tout aussi nocif.
Cette histoire, racontée toujours avec beaucoup de délicatesse, est celle possédant le plus de scènes d'action dans la filmographie de son maître. L'audace caractérise ce long-métrage avec par exemple de nombreux dialogues en japonais qui ne sont pas du tout traduits. Le spectateur se retrouve dans la même situation que les chiens, guettant une mimique révélatrice sur la marionnette humaine. Explorant le Japon des années 60 par le biais d'une version futuriste du pays telle qu'elle aurait été imaginée dans les années 60, Wes Anderson s'inspire et détourne la culture japonaise et ses grands artistes comme le cinéaste Kurosawa ou le peintre Hokusai.
Comme un clin d’œil à son cinéma en chair et en os, Wes Anderson dématérialise ses acteurs fétiches pour les besoins des voix du film.On retrouve ainsi Bill Muray, Harvey Keitel, Jeff Goldblum ou Edward Norton. Le casting de marionnettes, qu'il soit canin ou humain, manque quelque peu de figures féminines. Seul la lycéenne Tracy possède un rôle important.
L'Île aux chiens est une fable qui plaira autant aux adultes qu'aux jeunes. Cette harmonieuse alliance entre des estampes façon Hokusai et les dernières technologies pour l'animation permit à Anderson de remporter son premier Ours d'argent du meilleur réalisateur.