Quatre ans après son excellent Grand Budapest Hotel, le dandy le plus en vogue du tout Hollywood revient avec ses tons pastel et son élégance unique pour réitérer le pari qu’il avait réussi en 2009 avec Fantastic Mr. Fox : retranscrire son univers dans un film en stop motion. C’est bardé d’une pléiade de superstars au doublage (Bryan Cranston, Edward Norton, Bill Murray ou encore Scarlett Johansson), allant même jusqu’à choisir lui-même les doubleurs français, qu’il se lance une nouvelle fois dans une aventure pittoresque dont il a le secret. L’île aux chiens (Isle of Dogs), comme dans tous ses films, part d’un postulat simple pour en extraire une multitude de thèmes et de questions plus ou moins existentielles. Dans cette ville de Megasaki où le totalitarisme du maire fait loi, un jeune garçon de 12 ans, Atari, va parcourir une île où l’on a parqué tous les chiens malades, à la recherche de son fidèle compagnon, Spots. Avec l’aide de cinq chiens tous plus barges les uns que les autres, ils partent dans une quête héroïque et, petit à petit, idéologique.
Pour Wes Anderson, le diable est dans les détails et comme tout cinéaste visionnaire et hautement créatif, il ne laisse jamais rien au hasard et soigne le moindre de ses plans. Réalisateur, producteur et scénariste comme à son habitude, le stop motion lui permet d’absolument tout contrôler, de créer une imagerie qui lui est propre et de conditionner ses messages sur des bases dont il contrôle l’intégralité. Ainsi retrouve-t-on des chiens à la place des hommes et une structure visuelle époustouflante, créée de toute pièce, dans un monde et avec des thématiques qui font écho aux nôtres et qui offre au spectateur une porte dérobée sur son propre intellect. Le cinéma de Wes Anderson est un cinéma qui parle. La force de L’île aux chiens est de nous émouvoir, de nous faire rire, de remettre en question tous nos acquis que nous pouvions avoir grâce à un univers visuel surprenant et très riche. Si le film, de par sa forme et son ton, peut désorienter, il s’adresse néanmoins à un large public, avec un humour corrosif et subtil qui jalonne un récit empreint d’une poésie qui laisse admiratif. Toutes les nuances de sa créativité s’entremêlent et s’embrassent.
L’île aux chiens est une parabole enchanteresse et minutieuse, maîtrisée de la première à la dernière seconde par un réalisateur qui sait se renouveler et nous le prouve, pour nous offrir ce qui est à ce jour le film le plus accompli de sa carrière. Une ode à la tolérance et à l’éveil des consciences, où les liens entre les chiens sont les mêmes que ceux des humains, où la communication, verbale ou non-verbale, est omniprésente et donne à réfléchir sur notre façon d’appréhender l’autre. La parole est au centre de ce petit bijou universel, amenée brillamment par un système de traduction entre humains, entre chiens et humains ou même entre animaux, et nous amène à repenser notre conception de la langue, et de ce qui nous lie vraiment.
Un travail d’orfèvre, bien loin des standards économiques et commerciaux du moment, une symphonie hors du temps que le Petit Prince ne renierait pas, dans une délicieuse révérence au folklore nippon, servi par une bande originale signée Desplat, en parfaite harmonie avec l’atmosphère qui s’en dégage. Tant que le cinéma aura des créateurs de cette trempe, notre monde ne cessera jamais de s’émerveiller et de se réinventer. Un film bouleversant, intelligent et désopilant. Je tiens à remercier Clara et Oblikon pour la projection privée, sans qui je n’aurais jamais pu vivre toutes ces belles et authentiques émotions.