J'ai longtemps considéré cette version de Body Snatchers comme le stade ultime des films de la saga; il aura suffit d'un revisionnage pour comprendre que l'original reste, comme pour beaucoup d'autres cas, le meilleur volet de la franchise. Moins condensé mais plus maîtrisé, le film de Don Siegel avait le talent de savoir sur quel objectif se focaliser, et suivait sa ligne directrice sans grand écart.


C'est le principal problème de cette version de Philip Kaufman : certes très efficace, elle tente de trop en faire en trop peu. Ce qui passe en livre ne passe pas en film : décrire un contexte en présentant des personnages, mieux développer des thèmes tels que l'absence de sommeil impactant sur la perception et le ressenti des protagonistes, il est impossible de respecter tout cela en film si l'on y ajoute, en suivant toujours cette idée de plus destructeur, un triangle amoureux qui s'avoue peu à peu, ainsi qu'une pléthore de personnages secondaires qu'il faut, en plus d'amener, insérer convenablement dans le récit.


Ainsi, on se retrouve avec un Jeff Goldblum qui en fait des caisses pour se faire voir et Leonard Nimoy en psychiatre trop peu développé pour qu'on ne se doute pas qu'il est Body Snatcher, finalement si peu intéressant qu'on ne se soucie même pas de voir la théorie du traître se confirmer. Complice d'autres personnages secondaires essentiels mais toujours aussi peu caractérisés (le mari de Brooke Adams est un sommet de clichés), il ne sert en fait qu'à faire avancer l'intrigue et, paradoxalement, en cause la retombée précoce.


Au moment où le tout devait s'élever, atteindre des sommets de surprise et de tension, de nombreuses questions restent en suspens, brisant l'homogénéité du tout. On ne reviendra pas sur l'excellent travail de Kaufman : d'autres l'auront fait avant moi, en plus technique et plus approfondi, accentuant très sûrement sur la dureté de ses dix dernières minutes, d'un pessimisme fantastique. Le soucis vient du fait que le film pousse si loin son cynisme qu'il en paie lui-même les frais.


C'est au travers de son évidente critique de cette nouvelle société des années 70 remplaçant l'Amérique classique des années 50-60 que L'Invasion des profanateurs se plante royalement; le problème vient de la forme, non du fond (fort honnête). Si l'on admet que ces Body Snatchers, aliens à l'invasion enfin discrète, ne ressentent aucune expression, il apparaît surprenant que Nimoy témoigne, tout du long, de réactions purement humaines.


D'autant plus qu'il n'y a pas de mix possible : en devenant l'un d'entre eux, de ces nouveaux humains uniformes, tu perds tout élan vital, toute sensation, toute émotion. De ce monde monolithique ressort donc cet imposteur de Spock, qu'on pourrait, et ce serait plus logique, considérer comme un humain sous couverture. C'est là le problème de la machine expressive de nombreux films de science-fiction : l'art cinématographique se construisant très difficilement sur des visages inexpressifs (pour un cinéma grand public, cela va de soi), la forme ne peut plus respecter le fond si elle veut intéresser son public.


On retrouve aussi cette idée dans le traitement du sommeil : s'il fallait, pour intéresser le public, forcément incruster une histoire d'amour entre l'excellent Donald Sutherland et Brooke Adams (au regard parfait pour la conclusion du film), il paraissait évident que le thème principal du film, soit un combat perdu d'avance, passerait quelque peu à la trappe. Et si la mise en scène permet de réduire les pots cassés, il paraît évident que l'écriture ne sait plus trop ce qu'il faut développer, au point de plus s'attacher à montrer ses personnages secondaires en détresse et Sutherland en figure d'autorité héroïque qu'à faire naître la tension de la peur de s'endormir (une mise à jour qu'apportera le très réussi Griffes de la nuit).


Tout partait si bien que L'Invasion des profanateurs donne l'impression, au sortir du visionnage, d'être un film fractionné auquel il faudrait ajouter une demi heure supplémentaire (c'est un minimum) pour qu'il soit construit convenablement. A trop vouloir traiter de thématiques différentes (cependant toutes très intéressantes), il les survole pratiquement toutes et se limite à être un très bon divertissement, référence d'un genre pour sa mise en scène, plus pour son écriture. Contrat à moitié rempli, que son dernier plan rendra étonnement amer (dans le bon sens du terme).

FloBerne

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