Ancien du Service Cinématographique des Armées et vétéran de Dien Bien Phu, Pierre Schoendoerffer représente une exception dans le cinéma contemporain. Son œuvre – huit longs métrages en 40 ans – peut se lire comme une longue et fertile méditation sur son expérience indochinoise.
Jacques Perrin raconta qu’il choisît ses deux têtes d’affiche, Bruno Cremer et lui-même, quinze jours seulement avant le début du tournage. Les dieux de la guerre, ou du cinéma, lui étaient favorables, car son choix se révéla exceptionnel. Il les rappellera pour ses réalisations ultérieures.
Mai 1954, le Corps expéditionnaire français tire ses dernières cartouches. Le Viêt Minh se rue à l’assaut du pays. La 317e section locale supplétive abandonne son poste de Luong Ba à la frontière du Laos, pour rallier Lao Tsaï à cent cinquante kilomètres plus au sud. La quarantaine de Cambodgiens et les quatre cadres français se retrouvent seuls face à l’immensité de la jungle. Une division Viet s’interpose. Les civils rallient l’ennemi et les sentinelles désertent.
La caméra s’arrête sur deux hommes : le tout jeune et tout juste débarqué de métropole sous-lieutenant Torrens (Perrin) et le vieil adjudant Willsdorf (Cremer), alsacien vétéran de du front de l’est et de l’Indo. Vont-ils jouer l’ancestrale opposition entre le jeune chef et le vieux sous-off ? Non, Willsdorf tente de préparer, dans l’urgence, son chef au combat, tout en marquant les signes d’un respect formel, mystère que celui de la discipline militaire. Hélas, le temps manque, les hommes meurent, l’apprentissage est brutal. Le lieutenant grogne :
– C’est dégueulasse.
– Pourquoi dégueulasse ? C’est la guerre. Et ils savent la faire. Chapeau ! Répond l’ancien.
Torrens découvre pêle-mêle la souffrance, la fatigue, la boue, les sangsues, la merde… Accompagnée d’une dysenterie, la guerre est moins belle que prévue. Il fait face. S’il parvient à conserver son lumineux sourire, il est crispé. Réticent, Willsdorf lâche que la guerre conserve un sens, tant que l'objectif à atteindre mérite les pertes consenties. Mais, est-ce encore le cas ? Torrens tient à tomber en beauté… pour l’honneur. Une dernière charge ! Est-ce bien nécessaire mon lieutenant ?
Manifestement non. Willsdorf s’en tirera de justesse. Le film s’achève, la séance est terminée. La reconstitution était parfaite. Schoendoerffer a alterné, voire mêlé, fiction et documentaire. J’y étais, je les ai vus tomber. La guerre, c’est dégueulasse. Rendez-vous en Algérie.
Revue en décembre 2016