Lucas s’occupe de jeunes enfants au sein d’une école maternelle. Un jour, il fait l’objet d’une accusation de pédophilie aux conséquences désastreuses.



C'est arrivé près de chez vous



Voir La chasse c’est accepter d’être le témoin de ces affaires répugnantes qui filent la nausée dès la lecture des faits. Un récit tragique mais ô combien réel où les parents se noient dans un bain de souffrance : « si t’as touché à ma fille, je te mettrai une balle dans la tête ». Propos du père consumé par la colère qui cède à ses pires envies meurtrières contre son meilleur ami, justifiant ainsi l’étincelle métaphorique qui mettra le feu à tout le village.


En connaissance du synopsis, on est incité à chercher le moindre geste à l’égard des enfants. Dès le début du visionnage, nous sommes en effet à l’affût d’un signe suspect. Mais Thomas Vinterberg ne nous laisse absolument rien, il ne nous jette pas en pâture une vérité crue comme dans son grand coup d’éclats : Festen. Car c’est bien ce à quoi le réalisateur accorde une importance démesurée, il désire nous abandonner au doute tandis que les personnages sont à l’inverse tous convaincus.



Manipuler les masses



La persuasion de groupe fait son œuvre et le film nous dévoile les rouages essentiels de la manipulation de masse. Rapidement, ce petit bout de paradis nordique se transforme en un règne de peur, il devient un endroit clos détaché du reste du monde, et on constate alors la maîtrise de Vinterberg pour dépeindre de grandes ambivalences dans un lieu si restreint. Dans l’imbrication des personnages, tous se soutiennent et propagent une conviction infondée pour en forger une vérité solide. Fabriquer la réalité à partir de l’information que personne ne possède, telle est la manipulation contagieuse qui fait tomber chaque habitant dans « le fossé de l’ignorance ».


Pourtant, cette ignorance permet d’invoquer sans scrupule la déesse dévorante de la vengeance. La communauté, jadis soudée, amène la rage au cœur de ces maisons chaleureuses et conviviales pour bannir l’ami d’autrefois. Dans ces forêts splendides du Danemark, la meute assoiffée de sang chasse « le monstre » pour l’empêcher de nuire. L’atmosphère lourde nous happe instantanément, associée qu’elle est par une violence brutale et aveugle, et où se tient un homme isolé qui plaidoie de toute sa force son innocence. Il s’agit malheureusement d’une histoire qui ouvre une brèche plausible au cœur de tout le potentiel destructeur et cruel dont l’Homme est capable quand son animalité prend le dessus sur son humanité.



Justice ≠ Vengeance



Même si Mads Mikkelsen est un acteur pour lequel on est prêt à regarder n’importe quel film, il gravite cependant autour de lui un casting impeccable. C’est sans doute cette réalisation immersive qui permet cette fois-ci de ne pas uniquement se reposer sur la prestation de l’acteur. Tout l’art du film prend sa source dans sa capacité à multiplier les situations auprès des personnages secondaires. Et même si le doute se cache tout de même timidement en nous, la compassion nous serre à la gorge face aux actes de la communauté. Une assemblée pitoyable qui jure, frappe, et tue, faisant sa justice dans une sorte de ballet grotesque où les exécutants transpirent la laideur. De l’interdiction de faire ses courses à l’assassinat de son chien, tous sont monstrueux et sèment la peur par leurs comportements barbares.


C’est significativement étrange de ressentir une colère croissante pour les membres du village alors que la question initiale est de définir le cas d’un homme suspecté de pédophilie. Chaque scène de La Chasse évite de dresser le portrait d’un potentiel criminel, illustrant d’abord la condition délicate d’un père qui souhaite un nouveau départ après une séparation difficile. En revanche, la plupart des situations présentent les villageois comme des êtres ignorants qui agissent stupidement. C’est une méthode opposée à celle de Festen où dans ce cas-ci on pouvait être certain de la culpabilité de l’accusé, tandis que le reste des personnages refusaient de reconnaître l’évidence face aux preuves accablantes. Avec La Chasse, nous sommes en effet loin des codes éculés des œuvres qui traitent habituellement ce thème. Au-delà de la réflexion sur la violence gratuite, Vinterberg nous amène à pointer du doigt l’irresponsabilité des parents et l’abandon des enfants dans un environnement malsain. Le coupable n’est pas Lucas, la faute gravissime en revient plutôt :


• A ces parents irresponsables qui mettent en danger un enfant : d’emblée le film nous dévoile l’irresponsabilité des parents. Ils sont à la fois capables de laisser trainer une carabine dans le salon comme de repartir du supermarché en laissant Klara seule sur le parking. A la merci du danger, c’est toujours Lucas qui intervient pour lui venir en aide.


• A ces adultes qui ouvrent une porte de la culture du porno à leur propre progéniture : à l’origine de toute cette histoire, deux enfants ont un accès illimité à une tablette visiblement sans contrôle parental. C’est par cette insécurité que Klara visionne un contenu adulte.


• A ces ignorants qui agissent avec impulsivité parce qu’ils sortent eux-mêmes du moule du « laisser-aller » : c’est une troupe de joyeux ivrognes qui viendra donner des leçons de morale. Les mêmes qui se baladaient nus dans les jardins publics pour le plaisir de déconner entre potes.


• A ces piètres gardiens de la jeunesse qui accordent un gage d’innocence absolue à une simple enfant tout en balayant d’un revers de main la valeur du témoignage : à mi-parcours, Klara comprend les conséquences de son acte et cherche à corriger ses erreurs. L’affaire aurait pu se terminer tôt, mais la mère décide de conforter son enfant dans le mensonge.


Pourtant, celui qui est accusé du crime le plus atroce du monde est parvenu à rester la seule figure bienveillante envers ces chères petites têtes blondes. Même dans la période la plus sombre de sa vie, traqué comme une bête et écarté comme un pestiféré, son rôle de protecteur est demeuré intact.



Conclusion



A l’instar du cinéma d’Henri-Georges Clouzot, Vinterberg traite avec cynisme la nature humaine afin d’émettre une critique cinglante à l’encontre de notre moralité bancale. Face au dérèglement d’une communauté, les adultes s’engagent sur des rails programmés pour foncer droit sur une cible humaine. Un bouc émissaire efficace, pris en chasse, qui leur permet de tourner le dos à leur propre responsabilité dans cette étrange affaire. Impulsifs, accusateurs, et irresponsables, ils en écoutent quelques-uns pour croire fermement à plusieurs et condamner ainsi un ami désorienté à une violence aveugle.



Garde la tête haute et les pieds sur Terre.
Si tu boudes et que tu ne profites pas assez de ce que la vie a donné,
tu mériteras un bon coup de pied aux fesses.


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le 2 juin 2021

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Death Watch

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