Après Assurance sur la Mort, Boulevard du Crépuscule, Le Gouffre aux Chimères et Certains l'aiment chaud, poursuite de la découverte de la filmographie de Billy Wilder. Le cinéaste savait varier les goûts, les genres et les plaisirs, mais toujours avec cette même capacité à être juste et pertinent dans le traitement de ses thématiques. Un an après le très réussi Certains l'aiment chaud, Billy Wilder retrouve Jack Lemmon dans La Garçonnière, une autre comédie qui a su faire date, reconnue en son temps et aujourd'hui encore.
On dit souvent que les titres français des films étrangers dérivent du sens original et que leurs choix ne sont pas pertinents. Ici, on aura tendance à constater l'inverse. The Apartment est devenu La Garçonnière, un mot évocateur qui s'inscrit pleinement dans la problématique du film. Celui-ci définit l'appartement du jeune homme célibataire, son refuge à lui, notamment après les longues journées de travail. Or, ici, Baxter n'est jamais chez lui. Son appartement sert à plusieurs de ses supérieurs pour y accueillir leurs maîtresses, à l'abri des regards indiscrets, et l'infortuné Baxter n'a de choix que de rester au travail ou dehors en attendant de pouvoir revenir chez lui. Rapidement, le spectateur saisit la thématique du film, qui tourne autour du travail et de son aspect de plus en plus envahissant dans notre société.
Le film s'ouvre d'ailleurs sur une introduction à la fois comique et dramatique, où la voix de Jack Lemmon expose divers chiffres évocateurs en lien avec le métier de son personnage, mais aussi le gigantisme de son entreprise, vis-à-vis de sa modeste et petite personne. Individu libre d'un pays démocratique, il est relégué à un simple numéro de bureau, où il se rend chaque jour pour effectuer des tâches répétitives qui ne le passionnent guère. Et si le choix scénaristique de se servir de l'appartement du héros comme cachette pour les cadres de l'entreprise afin de fricoter avec leurs maîtresses, il s'agit surtout d'une métaphore de l'emprise que peut avoir le travail sur notre vie privée. Les supérieurs de Baxter n'éprouvent aucune gêne à occuper son appartement contre sa volonté, et estiment même qu'il doit les remercier de favoriser ainsi sa carrière. Si la garçonnière de Baxter ne peut plus lui servir de refuge à lui-même, alors il n'a plus de vie en dehors de son travail.
Le travail est également une entrave à la romance naissante entre Baxter et Fran, dont la complicité est évidente, mais pourtant les deux semblent se livrer de longs dialogues de sourds et s'évitent, notamment à cause de la pression hiérarchique provoquée par Sheldrake. En réalité, le travail est montré comme une entrave à tout, une entrave aux libertés individuelles, une entrave à l'épanouissement, une entrave aux sentiments. Ce que veut montrer dans Billy Wilder dans son film, ce n'est pas que le travail est fondamentalement mauvais, mais que dans une société où tout va toujours plus vite et toujours plus nécessiteuse en termes de productivité, le travail prend de plus en plus de places dans nos vies, accapare nos envies et, à terme, risque de nous déshumaniser.
La Garçonnière est une comédie qui, comme d'habitude chez Billy Wilder, ne manque pas de faire rire, mais propose aussi des ressorts dramatiques, au vu de l'importance du message transmis, lequel est à nouveau relativement visionnaire et toujours d'actualité. Grâce à cette intrigue savamment ficelée et à ses personnages bien développés, Billy Wilder vise juste en développant une thématique qui parle autant au public de l'époque qu'au public d'aujourd'hui.