Ce n'est un secret pour personne : une adaptation impliquant deux médiums différents est toujours délicate, la transition technique se mêlant à des problématiques de narration, de rythme et plus généralement d'intrigue. Alors forcément, quand l'adapté se trouve être le cœur, la pierre angulaire de l'œuvre du fameux Stephen King, le défi se posait : d'ailleurs, bien en amont de La Tour Sombre version grand écran, la mise en chantier du projet présentait déjà beaucoup de difficultés, les ayant-droits et divers partenaires se heurtant à la chaîne à la complexité de la série de romans.
Passée entre de nombreuses mains, cette adaptation s'apparentait donc d'emblée à un long chemin de croix, de par lequel nous ne pouvions que craindre un dénouement bancal, si ce n'est prendre fichtrement peur pour qui serait un amateur des livres originaux. Accueilli froidement, La Tour Sombre de Nikolaj Arcel semble justement donner raison aux plus sceptiques, mais faut-il y voir un souci de transposition, un mauvais produit cinématographique ou bien les deux ?
Pour moi qui n'ai pas lu les romans, il faut tout de même consacrer à leur rejeton filmique un premier mérite : en sortant de la salle, il me semblait impératif de découvrir au plus vite la saga de huit tomes, mais comment ce dernier y est parvenu ? Était-ce la preuve d'une retranscription d'univers réussie, en dépit de la fragile adéquation entre les 1h35 du long-métrage et les trois volumes (si je ne dis pas de bêtise) qu'il aura tenté de couvrir ? En réalité… pas vraiment.
Ce choix (si tant est que l'on puisse parler de choix) des scénaristes est en tout cas des plus curieux, mais pas infondé : plutôt que de coller fidèlement au récit original (impliquant une pléiade de films), ceux-ci ont en effet fait le pari de la synthèse brutale, une bonne manière en soi de ré-agencer une œuvre dont la nature narrative ne se prêtait pas au carcan de la pellicule. Mais tronquer de la sorte un support aussi riche implique forcément de faire des sacrifices, tout en ne garantissant aucunement de la pertinence du rendu final.
Dans cette optique, La Tour Sombre ne donne jamais l'impression de rendre pleinement hommage à son modèle, sa faible durée assombrissant ses (potentielles) prétentions de première pierre à l'édifice d'une fresque cinématographique majeure : difficile en ce sens d'y développer un background suffisamment riche pour fasciner, si ce n'est intriguer, et faire par extension saliver à l'idée d'une ou plusieurs suites. De surcroît, au-delà d'un sentiment de "déjà ?" alors que l'improbable duo concluait sa quête, le film fait mine de s'achever sur un The End pur et dur au détriment d' (ne serait-ce qu') une porte ouverte vers de nouveaux horizons.
Trop condenser de la sorte frise donc l'excès de zèle, mais là n'est pas le seul raté de La Tour Sombre, qui au gré d'un rythme "rushé" souffre d'écueils génériques : on pense notamment à la linéarité du récit, qui en dépit d'une cohérence relative pèche de par sa prévisibilité chronique, elle-même source d'une ambiance aux rabais, de péripéties convenues et de dialogues éculés. Le long-métrage succombe aussi aux clichés typiques des "petits" blockbusters, avec ses quelques plans situant l'action ou illustrant des changements majeurs (comme la Tour ensoleillée, bardée de nuages jouasses), des séquences d'action bordéliques ou encore le rabâchage de grandes phrases amenuisant leur portée.
Alors oui, La Tour Sombre n'est pas le film grandiose attendu, oui ses personnages ne sont que brossés à la va-vite, et oui son package formel n'est que trop peu immersif (BO meublant, empreinte visuelle ténue) au détour d'une atmosphère battant de l'aile : preuve en est d'une production tout au plus correcte, versant malheureusement dans le divertissement anecdotique et gâchant donc l'opulence scénaristique qu'offrait la saga de Stephen King.
Si l'on peut alors comprendre la haine viscérale qu'éprouvera certainement la majorité des fans, le film de Nikolaj Arcel ne tient pas pour autant de la purge… pour peu que vous soyez comme moi un néophyte. Par-delà ses ambitions aux rabais, La Tour Sombre demeure en effet un récit sympathique à la croisée des genres, quelques fulgurances et autres points forts égayant sa simplicité ambiante : l'opposition Roland / Walter est notamment source d'une certaine ingéniosité, leur duel final outrepassant une propension grandiloquente de par leurs aptitudes respectives.
Quelques ressorts scénaristiques, comme le référentiel Shining (qui prête à sourire), ou de façon secondaire des traits d'humour plutôt bien dosés (mais faciles), rehaussent le tout tels des apports salvateurs ; au demeurant, c'est en tout cas le casting qui tire le mieux son épingle du jeu à l'aide d'un Idris Elba sobre mais efficace, d'un Matthew McConaughey parfait en antagoniste limite cabotin, et enfin d'un Tom Taylor s'affranchissant du classicisme de son alter-ego medium (j'y décèle un charisme latent en devenir).
Affublé d'une carence conséquente en termes de subtilité et (à titre d'exemple) de rôles féminins forts, nous ne pourrons que regretter l'envergure piteuse de La Tour Sombre, celle-ci oscillant entre héritage étouffé et les stéréotypes animant tant de productions du même acabit. Le constat flirte donc avec l'échec pur et dur… mais pas l'immondice filmique que scanderont à loisir les puristes (et d'autres).