Que l'on s'entende sur une chose : Le Chasseur et la Reine des glaces était un projet foireux d'entrée de jeu, et pour ceux qui ont vu l'affreuse bande-annonce lorsqu'elle tournait en boucle dans les cinéma, il était évident que tout esthète digne de ce nom sortirait spirituellement amoindri de la projection. Si vous ne partagez pas ces deux évidences avec l'auteur de ces lignes, nul besoin de continuer la lecture de la présente critique, allez plutôt vous assoir sur un cactus. Cette dernière ne sera qu'un démontage, court, mais espérons-le efficace, d'un film que tout le monde semble déjà avoir oublié, anyway.
Oui, parce que la bande-annonce du Chasseur laissait clairement entendre que ça allait être mauvais, mais… personne ne vous prépare à un tel degré de nullité quand un tel amas de fric et de compétences ont été réunis. Pensez donc : Charlize Theron, Jessica Chastain et Emily Blunt, trois des meilleures actrices hollywoodiennes d'aujourd'hui, réunies dans un film éclairé par le chef op de 3h10 pour Yuma (meilleur western de ces vingt dernières années) et Nebraska (euh très bon film ne l'a pas vu), mis en musique par le compositeur d'Incassable, Salt et Nightcrawler (ok, là, on cite les quelques jobs un tant soit peu mémorables d'un gars qui n'aura, en fin de compte, jamais rien écrit de grandiose, mais c'est pour l'efficacité de la démonstration), et monté par le monteur attitré de James Cameron, d'Abyss à Titanic ? Ok, le réalisateur sort de nulle part, mais ça ne veut jamais rien dire, ça ! Un peu de fraîcheur, ça ne fait pas de mal ! Quant aux 110 millions de dollars de budget, certes, ça n'empêche pas de faire une merde (pas vrai, Independence Day : Resurgence ?), mais ça devrait au moins garantir un spectacle plaisant à l'œil ! Oui ? Non ? Ben, non, faut croire. Faut VRAIMENT croire. Avec le nouveau Livre de la Jungle, sorti la semaine précédente, on avait vu ce que Hollywood peut faire de mieux en matière d'« entertainment » de luxe. Avec le Chasseur, on a... peut-être pas le pire, mais pas très loin du fond du panier.
Le Chasseur est un foirage de luxe qui ne parvient MÊME PAS à divertir correctement PAR-DESSUS sa nullité - ce qui le prive même du titre de nanar. Esthétiquement, c'est une pub Dior J'adore mise aux couleurs de l'heroic fantasy (un chef op, ça s'adapte au cahier des charges, après tout…) ; y explose aux yeux le même goût de merde plaquée or prompt à titiller la bourgeoise fashionista et l'émir saoudien ; quant aux effets visuels, ils sont aux mieux ratés, au pire hideux (mon dieu, ces trolls ! Mon dieu, cette espèce d'ours dont Freya se sert comme d'un cheval !). C'est un peu étonnant, considérant que le réalisateur Cedric Nicolas-Troyan était superviseur des effets spéciaux dans le premier opus, qui était nettement moins désagréable à l'œil, mais bon, passons.
Toute aussi radioactive est la substance du scénario, à moitié pompé sur La Reine des Neiges (qu'il fait passer pour du Tolstoï), perdu entre un Once upon a time hystérique et un Game of Thrones pour collégiennes, embourbé dans une histoire d'amour aussi crédible que ses effets spéciaux, et dans une caractérisation inepte de personnages qui mettent trois ans à piger des choses calculables en trois secondes - la palme revenant à la pauvre Freya, paumée du début à la fin. Insistons l'espace de quelques lignes : le scénario est un bordel de tous les instants qui n'a aucune idée de sa direction, où aucune motivation d'aucun personnage ne fonctionne puisqu'eux-mêmes ne fonctionnent pas : le basculement maléfique de Freya, encore elle, est grotesque, et l'on ne croit pas une seconde à l'attachement de ses « enfants », qui sont pourtant censés être l'élément dramatique du film. C'est bidon de bout en bout, jusqu'au bidouillage scénaristique pour justifier l'absence de Blanche-Neige, ou encore jusqu'au retour totalement WTF de Ravenna (sorte d'anti-deus ex-machina) vers la fin. Surtout, ça doit répéter le mot « LOVE » au moins trois cents fois en l'espace de deux heures, comme si le spectateur était trop con pour comprendre le message. À ce stade, on est arrivé dans la sixième dimension de Buffy et Narnia.
Laid tant visuellement qu'intellectuellement, Le Chasseur n'est même pas foutu de faire dans le con-con CARRÉ, puisqu'il rate la plupart de son action et qu'aucun de ses acteurs n'assure le show. Exactement. Charlize Theron, qui s'était déjà ridiculisée dans le premier opus (ça aussi, on a omis de le rappeler dans le deuxième paragraphe pour faire monter le suspense, nos excuses), en fait à peine moins ici, sans doute trop occupée à cracher sa bile en CGI. L'habituellement somptueuse Jessica Chastain, affreusement accoutrée (mon dieu, cette coupe de roumaine) et pas vraiment habituée à jouer avec rien, ne produit aucun de ses effets habituels. Chris Hemsworth, capable de convaincre lorsqu'il est bien dirigé (voir Rush), se contente ici de taper sur tous les trolls virtuels qui bougent. Quant à Emily Blunt... que dire ? On tient sans doute là le pire rôle et la pire performance de sa carrière à ce jour. Bien sûr, à côté de ça, les nains peuvent se montrer plutôt fun (Nick Frost sort toujours son épingle du jeu), mais... c'est beaucoup trop facile et artificiel, comme touche comique (« allez, on va mettre des nains, le public, ça adore les nains ! »). En parlant de minorité, la cerise sur le gâteau est peut-être le casting diversité-friendly en arrière-plan, qui nous sort de son chapeau des Renois guerriers des neiges (rires), ou comment racialiser un conte de fée au nom du politiquement correct, un peu comme Le Monde fantastique d'Oz de Sam Raimi, autre grand souvenir...
Osons le dire : Blanche-Neige et le Chasseur n'était pas un très bon film, il ne marchait pas vraiment dramatiquement, n'évitait pas toujours un profond ridicule (clin d'œil à Charlize Theron, again), et s'était royalement planté en castant dans le rôle-titre une Kristen Stewart pas du tout à sa place (que l'on aime beaucoup, à côté de ça), MAIS... il était beau à voir, réservait quelques beaux moments de cinéma (à défaut d'émouvoir), comme cette traversée de bois sombres et tranchants qui reste encore en mémoire. Et à côté du Chasseur et la Reine des glaces, sinistre spectacle sans âme et surtout sans magie aucune, le film de Rupert Sanders nous semblerait tout à coup presque réussi.
Ce préquel/séquel/midquel aussi inutile que grossièrement opportuniste, de par sa nullité et son échec au BO, devrait être un avertissement à destination des studios : si la mode des remakes, adaptations et reboots était un corps, le film en serait un de ces premiers signes de démence sénile. Quelqu'un devrait dire au studio : « let it go »…