Ce film est une incongruité. Comment un tel sujet a-t-il pu cumuler les récompenses aux Césars 1978 ? Trois officiers de marine évoquent, dans un huis-clos nautique, la figure d’un quatrième, l’occasion de brosser le portrait d’une génération chahutée, des combats de la France Libre aux soubresauts de la Guerre d’Algérie.
Malade et silencieux, Jean Rochefort a obtenu un dernier commandement à la mer, celui du Jauréguiberry, que la Marine nationale a fort obligeamment fourni à la production. Mais Pierre Schoendoerffer n’est-il pas notre Alfred de Vigny ? Qui mieux que lui a décrit la servitude et la grandeur de l’armée de la République ?
Tout juste expulsé de feu le Sud Viêt-Nam, le médecin du bord/Claude Rich se souvient de Jacques Perrin/Willsdorff qu’il connut, vingt-cinq ans plus tôt, à la tête d’une Dinassaut. Sous le surnom de Crabe-tambour, il régnait alors sur un bras du Fleuve Rouge. Meurtri par l’abandon de ses soldats vietnamiens, il a, plus tard, rejoint le putsch d’Alger, puis été condamné… Il ne l’a plus revu. Selon Jacques Dufilho/le chef machine, le Commandant avait refusé de suivre Willsdorff dans le coup de force, mais lui avait promis de quitter l’armée en cas d’échec. Seulement, le général de Gaulle, en personne, le lui avait formellement interdit. Le Vieux s’était soumis et traine depuis lors sa peine.
Les prises de vues sur les bancs de Terre-Neuve sont magnifiques. La mer est rude, tout particulièrement pour les marins pécheurs. Les souvenirs d’enfant de chœur breton de Dufilho apportent une bienvenue pointe de fantaisie à un ensemble austère. Le Jauréguiberry trace sa route vers le grand Nord. Patron de pêche, Willsdorff n’est plus loin. Son navire pointe sa proue entre deux grains. Le Vieux saisit la radio et lance de sa voix rauque :
- Adieu capitaine.
- C’est vous commandant ? Je m’y attendais un peu, je me demandais si…
- Je voulais seulement dire adieu, c’est tout, je n’ai rien d’autre à dire.
- Je sais que… non… vous avez raison, il n’y a rien à dire.
C’est fini. Ils rentrent à Brest, où le Vieux s’empressera de mourir.