Le film de Pierre Schoendoerffer est sorti en 1977. J'ai vu ce film à sa sortie et j'ai, tout de suite, été fasciné par l'histoire romancée d'un officier "légendaire" de la marine, Willsdorf, le Crabe-Tambour, joué par Jacques Perrin.
Mais ce n'est pas tant l'officier en question qui m'a fasciné mais la construction, le montage des scènes du film. Mais le jeu des acteurs qui est prodigieux.
Trois officiers se trouvent réunis sur un bateau de guerre, un aviso, pour une mission dans l'Atlantique Nord du côté de Terre-Neuve.
Le premier c'est le médecin du bord, Pierre joué par Claude Rich.
Le second c'est le commandant de bord, rongé par le cancer, le Vieux, dont c'est le dernier commandement. Il est joué par Jean Rochefort
Le troisième c'est Jacques Dufilho qui joue, Chef, l'officier mécanicien du bord. Celui-ci suit le commandant depuis une quinzaine d'années.
Tous les trois ont connu ou croisé à des moments différents Willsdorf mais ne se connaissent pas ou peu. Le film est la lente évocation, la lente reconstruction du personnage de Willsdorf de la seconde guerre mondiale où, étant alsacien, il commence dans les rangs allemands sur le front russe jusqu'aux guerres coloniales françaises d'Indochine et d'Algérie avant de finir marin-pêcheur en Atlantique Nord, Terre-neuvas. On découvrira peu à peu que les trois officiers s'en veulent à des degrés divers des relations qu'ils ont pu avoir avec Willsdorf.
On découvrira surtout que le commandant a contracté une dette d'honneur vis-à-vis de Willsdorf et que ce dernier voyage n'a pour but que de chasser les vieux démons avant de mourir.
Le film se déroule entre début et fin avril 1975 alors que Phnom Penh tombe vers le 15 avril et Saïgon tombe le 30 avril. Ce contexte (les infos à la radio en fond sonore) teinte le film d'une tristesse que personne ne s'avoue ni ne commente mais que tous reçoivent comme un ultime coup. L'aventure indochinoise est bel et bien terminée.
Ce qui est extraordinaire dans ce film passionnant, c'est que tous ces souvenirs sont évoqués alors que le service à bord continue, routinier, ordonné, "business as usual". Les manœuvres d'accostage, de communication entre l'aviso et les chalutiers sont l'occasion de retomber sur un souvenir précis du crabe-tambour et nourrissent la réflexion. On se sent pris dans la vie du vaisseau où les ordres du Vieux tombent naturellement "trop de monde sur la passerelle" ou encore "je n'aime pas qu'on parle sur la passerelle en dehors du service".
Chaque fois qu'un souvenir fuse, un flash-back surgit mettant en scène le souvenir précis. Au retour à Lorient, le départ du commandant du bateau a lieu avec tous les honneurs de l'équipage y compris le gabier-siffleur. La scène est intensément émouvante et d'une grande sobriété où ne claquent que les ordres dans le silence.
Et puis ce film est un hymne à la mer que l'on voit de toutes les façons que ce soit en Indochine, dans la mer Rouge ou dans cet Atlantique Nord. Les photos de l'aviso affrontant la houle puissante de l'Océan sont juste splendides. Les embruns mais aussi cette mer de cuivre ou encore recouverte de plaques de glace dont on ressent la puissance et le danger.
Les manœuvres sur le bateau confèrent presque un aspect documentaire que le spectateur suit fasciné.
L'escale à Saint-Pierre où on découvre une autre facette du crabe-tambour et où le spectateur (enfin moi, quoi) retrouve cette magnifique et douce actrice, que j'adore trouver au cinéma, Aurore Clément, ici, dans un rôle d'infirmière à Saint-Pierre. J'avais ensuite retrouvé cette actrice dans "Paris, Texas" et "Lacombe Lucien" et tant d'autres films. Toujours avec le même plaisir.
Le personnage de l'officier-mécanicien est superbement joué par Jacques Dufilho qui joue, encore une fois ici, le breton mais le breton du pays bigouden, le "menton de la France", qui "reçoit tous les coups de l'Océan" depuis des millénaires sans jamais bouger. Il a toujours une histoire extraordinaire à raconter mais se fait brocarder par la jeune génération des officiers de marine. Normal. Dans ce film, Dufilho transfère un peu de son humanité , raidie dans la discipline militaire, que tout le monde prend, jeunes et vieux.
Ce film accueillant et nostalgique, dans lequel je me plais facilement à rêver, est juste splendide.