(1974. FR. : Le parfum de la dame en noir. ITA. : Il profumo della signora in nero
Vu en VOST, superbe édition Blu-Ray de Artus. Bravo à eux : ce film n’était jamais sorti en France ni en salles, ni en support physique…)
Silvia Hacherman (Mimsy Farmer) mène une vie banale, partagée entre son petit ami (Maurizio Bonuglia) et sa carrière professionnelle. Lors d’une soirée entre amis, un professeur de sociologie (Jho Jhenkins) évoque la magie noire et autres sorcelleries africaines, tendance vaudou… A partir de ce moment, Silvia semble se déconnecter de la réalité, elle ne se rend plus au travail et a de nombreuses visions de son passé qu’elle semble avoir enfoui pour des raisons inavouables…
Découverte pour la première fois, lorsque j’étais minot, dans le superbe Deux hommes dans la ville de José Giovanni, Mimsy Farmer m’avait alors déjà hypnotisé ! Depuis, les films que j’ai pu voir avec elle (Quatre mouches de velours gris, Frissons d’horreur entre autres…) n’ont fait que renforcer mon attirance, artistique avant tout (quoique !), vers cette actrice américaine qui vécut longtemps en Italie et désormais en France. Révélée en 1969 pour son rôle de hippie junkie dans More de Barbet Schroeder, et surtout connue pour cela, je dois avouer l’avoir adoré dans La traque (elle-même trouve que c’est son meilleur film), et ici dans ce vénéneux Le parfum de la dame en noir, elle donne à mes yeux la plus belle partition de sa carrière.
Avec son visage et ses cheveux blonds de poupon, Mimsy jouera la plupart du temps des personnages de victimes, devenant parfois à leur tour bourreau comme chez Argento. Dans le film de Barilli, la femme-enfant correspond si bien à son personnage de Silvia qu’on a du mal à voir qui aurait pu s’y coller ! Autant menacée par ses errements psychologiques que par des amis qui n’en sont peut-être pas, elle retranscrit à la perfection l’enfer dans lequel se jette littéralement son personnage, car retomber en enfance ne peut se faire sans dommages…
*(A ce titre, la filiation avec Alice au pays des merveilles est prégnante tout au long du film, un passage du livre étant même récité…De plus, Mimsy est un prénom de scène (son véritable prénom étant Merle) inspiré d'un poème de Lewis Caroll, l’auteur d’Alice justement. Mimsy est un adjectif inventé contractant les deux mots « miserable » et « flimsy » (frêle)…)*
Perdue entre onirisme et réalité, à la manière d’une Florinda Bolkan dans Una lucertola con la pelle di una donna (Le venin de la peur) ou Le orme, Mimsy crève l’écran, portant le film dans sa chemise de nuit tout en transparence… Parmi les plus belles images, retenons son visage, admirablement filmé, après des ébats amoureux, ses larmes et son expression hallucinée après une blessure : « Silvia si è fatte male, Silvia si è fatte male… » Ou encore son « enthousiasme » lors d’une cérémonie du thé, nouveau clin d’œil à Lewis Caroll, particulièrement gratinée.
Profondo Blu
Réduire ce giallo, tendance Œdipe doublé de machination, au talent de son actrice principale serait toutefois une erreur car Francesco Barilli impose une patte assez unique dans le genre. On peut toutefois retrouver cette audace artistique dans Je suis vivant et son atmosphère si particulière. D’ailleurs, Barilli collaborera au scénario de Qui l’a vue mourir ?, second giallo de Aldo Lado, avec un certain Massimo D’Avak qu’on retrouve justement à l’écriture sur Le parfum de la dame en noir.
L’une des raisons pour lesquelles j’ai tant apprécié ce film réside dans la mise en scène qui confine presque à l’exercice de style avec cette accumulation de tableaux visuels où rien n’est laissé au hasard, comme cette maison bourgeoise, où vit Silvia, tout droit sortie de l’ère baroque. Même un souterrain prend une dimension artistique avec le regard de Barilli. Un œil qui semble d’ailleurs voir la vie en bleu tant cette couleur est omniprésente tout au long du film : les néons sont bleus, le papier peint est bleu, les papillons sont bleus, comme la mer dans lequel périt le père de Silvia ...
Comme beaucoup d’autres détails (le bouquet de roses, le vase, le chat noir, les oiseaux empaillés, un voisin fada d’hippopotames…), nous n’aurons pas vraiment d’explications et c’est l’une des réserves qu’on pourrait faire au cinéaste qui à force de nourrir notre imagination, de référencer son film (l’ombre de Polanski rode de Rosemary’s baby en passant par Le locataire) finira par perdre certains d’entre nous déjà usés par une histoire au rythme lent, toujours à la frontière du rêve, ou plutôt du cauchemar.
Parmi les acteurs, on saluera l’indéniable talent de Mario Scaccia (A chacun son dû, La propriété c’est plus le vol, L’homme aux cent visages) qui campe un charmant voisin soucieux du régime alimentaire de ses chats. Maurizio Bonuglia (Le gendarme se marie), en fiancé peu compréhensif, tient la route, comme son collègue Jho Jhenkins, acteur afro-américain ayant surtout œuvré dans le Bis italien. Sa diatribe vaudou au début du film vaut le coup d’œil. En parlant d’œil, la française Nike Arrighi campe une voyante aveugle (!?) troublante à souhait. Enfin, comment ne pas mentionner la superbe prestation d’un acteur trop peu utilisé, Orazio Orlando, qui était déjà excellent dans Enquête sur un citoyen… Son rôle de taxidermiste à la sexualité violente est une sacrée curiosité.
Evidemment, l’un des atouts majeurs du film réside aussi dans sa B.O. signée Nicola Piovani (Oscarisé pour La vie est belle). Alors à l’entame de sa carrière, celui qui bossera avec des réalisateurs comme Monicelli, Moretti, les frères Taviani ou Fellini, signe ici une musique enivrante, douce et amère. Un joyau qui relève encore plus cette petite merveille de film qui par son aspect baroque aurait pu inspirer un certain Argento pour son Profondo Rosso et Suspiria.
Il me tarde désormais de voir le second giallo de Barilli, Pensione Paura, avec le français Luc Merenda (L’accusé, Calibre magnum pour l’inspecteur), tant le style du réalisateur m’a plu.
La B.O : https://www.youtube.com/watch?v=EQJMUN1HidI