Or, noir et sang
Qu’est-ce qui fait d’un film un très grand film ? Comment expliquer que s’impose à vous dès le premier plan-séquence, qui part du visage de l’interlocuteur pour très lentement révéler le Parrain,...
le 25 nov. 2013
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Je relis mon papier d’alors, et le constat est sans appel : il n’a pas aussi bien vieilli que Le Parrain, pour sûr. Et n’ayant à ce jour point découvert ses deux suites, l’occasion était toute indiquée quant à un nouveau visionnage, en bonne et dû forme ; le chef d’œuvre de Coppola le vaut d’autant plus que Marlon Brando, qui m’avait déçu dans Apocalypse Now, m’enjoignait à rehausser ma dernière impression, guère jouasse de son état.
Qui plus est, il serait tentant de dresser un parallèle avec une autre éminence du film de gangster, Les Affranchis ayant aussi marqué le genre : car là où Scorcese signait une fresque dynamique, si ce n’est ludique par delà une propension dramatique mordante, Le Parrain revêt une empreinte différente... au travers d’une signature formellement austère, grisante de par sa teneur théâtrale sans grandiloquences d’aucune sorte.
Une vision qui, en somme, colle parfaitement à l’univers de la mafia italiano-américaine, pétrie de valeurs familiales à leur paroxysme et, chemin faisant, d’une atmosphère intimiste particulière. Auréolé d’une ribambelle de récompenses, dont les Oscars du meilleur film et du meilleur scénario adapté, Le Parrain s’apparente donc au reflet rêvé du roman éponyme de Mario Puzo, dont les connaissances personnelles sur le sujet promettaient d’emblée un cadre réaliste et, de surcroît, immersif.
Un long-métrage d’une richesse sans pareille donc, et le tremplin rêvé d’un Francis Ford Coppola sur commande, en dépit de contraintes de tournage se faisant les prémices aisés d’un futur calvaire en compagnie (une fois encore) de Brando : mais avant de virer à la prestation apathique, au cœur de la jungle cambodgienne, celui-ci se fendait là d’une performance de première ordre, transcendant et accroissant l’aura d’un Vito Corleone déifié.
Cette parabole religieuse n’accapare toutefois pas le récit, dont le rythme mené tambour battant s’attache de bout en bout notre attention : sans fioritures, Le Parrain dresse un tableau très classieux de la pègre, dont les conflits d’intérêts et autres vendettas sanglantes assurent leurs lots de sueurs froides. Le film ne succombe néanmoins jamais au piège de l’escalade sans repères, notamment au moyen d’un montage aux transitions abruptes, support de nombreuses ellipses ; sur le fond, les composantes familiales, stratégiques et de valeurs soulignent la bonne tenue d’un monde hostile de par son essence, loyauté et trahison s’y entremêlant à l’envie.
L’équilibre entre son envers symbolique et une réalité sans concession est, aussi, diablement efficace, l’ascencion en filigrane de Michael illustrant l’ingéniosité d’une trame jamais à court d’idées : de fait, le récit déroule quelques trois heures de pellicules sans l’ombre d’une anicroche, le moindre détail à même de nous faire tiquer se voyant être balayé par une ambiance hypnotique.
Fort bien doté formellement, Le Parrain doit également une part non négligeable de son succès à un casting idyllique, dont les aléas « musclés » de la distribution (Brando et Pacino ne devait pas y figurer) illustrent d’autant plus la réussite de Coppola : car outre une galerie secondaire exceptionnelles, truffée de gueules servant au mieux des dialogues savoureux, le second cité succède avec brio au premier, dont on ne rappellera pas (au risque de paraître redondant) la performance ahurissante.
À l’heure du bilan, tandis que son extraordinaire thème musical nous trotte en tête, il s’avère donc sans surprise que ce portrait de la famille Corleone est une pièce majeure de l’histoire du cinéma, mais aussi une plongée singulière au sein d’un entre-deux perpétuel. La mafia liant en ce sens l’illégalité de ses activités au soutien d’entités légales, mais aussi par le biais d’une opposition générationnelle donnée, Michael prenant le taureau par les cornes pour l’abattre froidement... là où le mesuré et « pacifique » Vito trépassera parmi ses plants de tomates : l’ironie de la chose est confondante.
Il va donc sans dire que ce second visionnage n’aura pas été une perte de temps.
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Créée
le 23 nov. 2014
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