Michel Hazanavicius réussit haut la main un pari très compliqué qui le fait sortir des sentiers battus : Extraire la dimension comique d'un réalisateur réputé comme cérébral et inattaquable. On réserve en général ce traitement à des perdants pas magnifiques du tout (le Ed Wood de Tim Burton, ou le Disaster Artist de Franco sur Tommy Wiseau ). Mais rarement à un type qui provoque des pâmoisons et hommages constants depuis plus de 50 ans en dépit de son caractère auto-parodique. Le coup de génie a été de se payer Godard avec un acteur issu d'une "dynastie" de la Nouvelle Vague.
The disaster actor
J'ai toujours détesté Louis Garrel en raison de la prétention qu'il dégage, de ce regard de cocker habité par les ténèbres qui fait tant craquer certaines filles, et de ses choix tendant systématiquement vers un cinéma d'auteur bourgeois creux et suffisant. Au regard du respect quasiment divin que le vieux Suisse inspire au monde du cinéma, on pouvait redouter que le projet ne se limite à un exercice lèche botte digne d'un speech d'Emma de Caunes aux Césars...
Et cela me coûte un peu de l'admettre mais Louis Garrel est vraiment drôle, je ne le soupçonnais pas de pouvoir sortir une composition aussi chargée (il va jusqu'à zozoter !) et donc casse-gueule. Et le récit de cette vie de couple avec Anne Wiazemsky pendant mai 68 constitue une des meilleures comédies de l'année. Car c'est un comédie, et Godard est un grand personnage de film comique. Le Redoutable comporte d'ailleurs quelques grands moments devant lesquels il est difficile de ne pas rire (le trajet retour du festival de Cannes en bagnole, les AG...), à moins bien sûr d'être un fan boy fragile de Pierrot le fou ou pire, de La chinoise. Auquel cas vous serez ulcéré par l'abattage de cette vache sacrée.
Le réalisateur du Mépris est brocardé de manière inédite. On expose enfin le personnage médiocre qu'il est : égocentrique, épidermique, contradictoire, mesquin, conscient de sa contradiction, de son grotesque, en guerre contre lui même et contre les autres, dans une impasse artistique du seul fait d'avoir à porter son nom, devenu symbole de cinéma bourgeois auprès des étudiants les plus radicaux. Bref, c'est un connard avec qui éviteriez de partir en vacances aux Baléares, qui demeure malgré tout fascinant du fait de son empreinte sur l'histoire du cinéma.
Sa soif de liberté, son désir de se délester des conventions a été une source d'inspiration pour beaucoup d'excellents réalisateurs. Un équivalent au mouvement punk qui a amené une bouffée d'air frais dans un domaine tendant parfois un peu trop vers l'académisme. Le problème a été un tangage vers l'excès inverse : le nombrilisme érigé en règle numéro 1, une façon de filmer dont on subit encore les effets plus de 40 ans après.
Bergman, Belmondo et Bertolucci
Le scénario repose sur l'autobiographie d'Anne Wiazemsky (fille de François Mauriac) qui relate leur déclinante histoire d'amour. Le film fourmille de petits instants tirés de leur vie quotidienne, et cette intimité est souvent illustrée par des clins d’œil de réalisation au style Godard. Et c'est justement les seuls moments ratés du film. Peut-être qu'Hazanavicus cherche à se dédouaner, à faire comprendre qu'il aime aussi JLG, et que son film n'est pas qu'une charge. Oui, oui bien sûr, on a compris ce qu'il pensait de Jean-Luc... il lui pète ses lunettes toutes les 10 minutes comme au premier Philippe Castelli venu. Moi j'adore hein. Mais il ne trompe personne.
L'intérêt se trouve surtout dans les tranches de vies rigoureusement authentiques, et qui sont relatées de manière assez impitoyable. Et en particulier celles illustrant son rapport conflictuel au public. Les moments de manifestation, où un prolo vient le féliciter pour "A bout de souffle", qu'il considère comme son "meilleur film", et de fait c'est le plus accessible et donc le plus apprécié du grand public. On lui demande quand est-ce qu'il en refait "un comme ça avec Belmondo..." Assister à cette impossibilité d'envoyer balader un prolo, moi ça me réjouit. Et la courte compassion qu'on peut avoir pour un ambitieux réalisateur qui cherche à se renouveler s'estompe très vite quand un vrai fan, étudiant en cinéma vient le rencontrer pour lui faire part de son admiration pour son oeuvre plus expérimentale. Godard envoyant chier le malheureux parce qu'appartenant manifestement à la même sphère intellectuelle que lui, il ne mérite donc que le mépris. Un désir d'afficher sa conscience de la lutte des classes qui confine au ridicule. Ces scènes illustrent à merveille la complexité et l'insatisfaction perpétuelle d'un réalisateur vis à vis de son propre travail et de son public. Son invitation au festival de cinéma à Rome par Bernardo Bertolucci est d'ailleurs un autre grand moment comique puisqu'il prend en grippe son propre film qui est défendu par... les spectateurs italiens présents dans la salle.
Le Redoutable est donc une entreprise rare. Et pour se permettre de tailler un type aussi adoré, faisant autorité, il faut avoir une certaine légitimité. On garde en mémoire les propos d'Ingmar Bergman : "Je n'ai jamais adhéré à ses films. Ils ne sont pas construits, sont faussement intellectuels, et complètement morts. Ils sont inintéressants cinématographiquement parlant, et infiniment ennuyeux. Godard est d'un ennui mortel.[...]. Un de ses films, Masculin, féminin, a été tourné ici, en Suède. C'était un film abrutissant au possible" ou d'Orson Welles : "Ses talents de réalisateur sont énormes. Je ne peux juste pas le prendre très au sérieux comme penseur, et c'est là où nous différons, parce que lui estime être un penseur. Son message est qu'il s'intéresse à ce qui se passe de nos jours et, comme la plupart des films à messages, ça pourrait aussi bien être écrit sur la tête d'une épingle". Des appréciations particulièrement dures qui font passer le film d'Hazanavicius pour une caresse dans les cheveux. Quand on sait que Godard, en ex-journaliste des Cahiers du cinéma, avait expliqué que Duvivier ne savait pas réaliser un film, on se dit qu'il n'a pas volé ces paires de claques distribuées par des confrères bien plus talentueux que lui.
Je ne sais pas ce que le vrai Godard a pensé du film, mais il se déteste tellement qu'il a peut-être aimé se voir ainsi ridiculisé via le médium auquel il a consacré sa vie.