Cinéaste de l'image épurée et du silence signifiants, loin de tout artifice creux, mais au contraire en quête constante du sens dans les moindres détails en apparence anodins, Ceylan n'est pas considéré l'un des meilleurs de sa génération par hasard. Son minimalisme n'est jamais signe d'une création défaillante mais une condensation d'un océan vaste et complexe en une simple goutte d'eau. Car il sait peindre avec des bribes de mots et quelques plans un paysage géographique profond et intérieur, et ce sans aucun excès, sans tâche, sans enthousiasme égotiste du cinéaste.
Avec Les climats, nous retrouvons tout ce qui fait le style Ceylan. Un couple, des ruines, une larme, un soleil crépusculaire et le film est posé. Tout discours ajouté ne serait que superfétatoire. La beauté des corps filmés en numérique (à l'époque quelque chose d'encore très rare dans le cinéma d'auteur), le grain de la peau mouillée, la disposition géométrique des êtres s'opposant sur l'espace visuel apportent la touche esthétique, le regard d'un Ceylan aussi photographe, rappelant par sa manière de cadrer un certain Antonioni de l'Avventura. Toutefois, s'éloignant d'une certaine superficialité qu'on peut parfois déceler chez certains cinéastes italiens de renom, il donne de la profondeur au temps, le laisse se dérouler, s'épanouir, libérer les mondes secrets qu'il contient; et alors le spectateur devient agent actif, non seulement cueilleur de sensible et regardeur mais aussi collecteur d'histoires participant à la reconstitution, à la recréation de l’œuvre (même si c'est principalement dans l'excellent Les trois singes qu'il excelle dans cet art de la suggestion où il invite et guide le spectateur dans sa réflexion). Puis, quelques touches de sarcasme, d'animalité (comme cette scène sauvagement sensuelle sur le sol d'un salon), de mal viennent nuancer l'unité pure et blanche comme les premières neiges. Car chez Ceylan, s'il y a fracture dans le terrain du couple, c'est d'abord parce que la terre a tremblé et que la nature domine dans l'humain plus que la consciente faute d'un personnage en particulier.
Et voilà, avec si peu, on peut faire si bien. À tel point que certains se trompent en n'y voyant qu'ornement dans cette étendue tranquille sous laquelle passe de profonds courants souterrains qu'il faut se donner la peine de sentir en s'abandonnant à ce temps nouveau, avant d'embrasser ce grand espace qui s'ouvre devant nous.