Nuri Bilge Ceylan est toujours aussi lent et long et imprime la rétine par son jeu de caméra, de ses ambiances contemplatives et méditatives. Autant réalisateur que scénariste mais aussi directeur d'acteurs, ce sera également ses parents dans leurs rôles respectifs et peut-être par son couple à la ville et en collaboration ici, avec Ebru Ceylan où tout deux se prêtent au désamour, conjurer ce que pourrait leur réserver l'avenir.
Avec Les climats, métaphore d'une relation sur le déclin, c'est aussi son pays qu'il met à l'honneur. On profite d'une escapade ensoleillée à Kaş et ses ruines photogéniques, comme celui d'un panorama grandiose, dans l'est de la Turquie, où les détails sont magnifiés, comme une succession de tableaux où les prises de vues instantanées sont mélancoliques, rappelant en passant à la beauté désertique des montagnes Afghanes.
Pour rendre l'éloignement des personnages ce sera l'été et l'annonce de la rupture vue par Bahar (Ebru Ceylan) et les conséquences à venir vues par Isa (Nuri Bilge Ceylan) dans la pluie automnale pour clore le chapitre à la rigueur de l'hiver.
Avare de paroles, n'hésitant pas aux gros plans presque agressifs, les regards en exergue permettent à Ebru Ceylan de révéler tout un panel d'émotions. Ce sera le coup de cœur pour un jeu tout en finesse au visage expressif et en économie, à la lassitude contenue -qui évoque subtilement, par le silence, la place des femmes- et à la tendresse refoulée face au mur en béton qu'est Isa. De cet été de tous les possibles et d'un week-end entre mer et faux semblants, c'est l'évitement, et le rapprochement brutal du couple par une ellipse les plaçant comme par magie, face contre face, renforce la violence des échanges, polis. Les intérieurs ternes et sombres face aux extérieurs lumineux et ouverts rendent compte d'une liberté définitivement inaccessible, marquant d'autant plus par la proximité du couple, le fossé grandissant qui les sépare.
L'homme navigue, absent de lui-même, soumis à ses pulsions si peu constructives qu'elles ne lui permettent plus de travailler mais de survivre au milieu du vide et tentera la reconstruction quand la solitude deviendra insupportable. Son cheminement s'accorde parfaitement avec celle du cinéaste. Comme dans son film Il était une fois en Anatolie, l'ensemble s'imbrique au fil du récit et joue de l'attente, du suspense et des failles de ses personnages. Les sons sont à l'honneur et viennent encore jouer de l'interférence, contrebalancés par l'absence du verbe.
Nuri Bilge imprime la pellicule de ses regards aimants, ou faussement souriants, constamment dans la représentation, ses mouvements pointent sa fuite en avant, ne trouvant l'illusion du bonheur que par sa nouvelle relation avec Serap (Nazan Kesal). Ce personnage vient parfaire par un portrait de femme infidèle, au rire poussif, la fausse rébellion face à une société patriarcale et ne fait que renforcer sa soumission face à un langage des corps violent, aux échanges sans intérêt pour préliminaires.
Un portrait finement décrit pour un focus peu réjouissant sur la lâcheté et l'égoïsme des hommes, tout autant malmenés, universel, mais qui révèle la parfaite négation de l'autre. On pense alors à Ozu et à ses portraits de femmes et on prend comme un souffle d'air, un soupçon d'humour dans une scène tragique, qui vient détendre l'atmosphère lorsque les techniciens de Bahar, viendront saper le monologue pathétique d'Isa, face à cette femme dévastée par son inconstance, mais qui reste sur la ligne narrative et ne fera qu'exacerber sa possessivité.
La vie rêvée d'Isa à enfin faire don de soi et l'illusion de l'intimité partagée aux retrouvailles hivernales, viennent se heurter à la réalité de ce qui ne peut plus se reconstruire et trouve sa réponse dans l'ultime discussion du couple, au matin, en totale incompréhension et signe l'impossibilité à l'homme de s'ancrer dans la vérité.
On peut être dubitatif sur un énième film à raconter les affres douloureux du couple mais ce serait rater un bien beau film.