Il y a bien plus emblématique, dans la brillantissime filmographie d'Henri Verneuil.
Mais, aussi, il n'y a sans doute pas plus important que ce film ! Ainsi que son complément de diptyque, "588, rue du Paradis".
Certes, avec "Mayrig", il revenait dans l'actualité cinématographique après un entr'acte de sept ans. Pas sept ans de réflexion - pensée émue pour Marilyn - mais de travail colossal. Ecriture de ses mémoires en pavé littéraire mais digeste ; et aussitôt après, scénario et tournage de leur adaptation cinématographique avec un budget lui aussi colossal ! Sorte d'apothéose cinématographique...
"La vache et le prisonnier", "Un singe en hiver", "Peur sur la ville", "Le clan des Siciliens", "Le corps de mon ennemi", "I...comme Icare", "Week-end à Zuydcoote", "Le Casse", "Mille milliards de dollars", "Le Serpent"... Autant de chef-d'oeuvres avec une pléiade d'acteurs stars où ce sont des récits virils et bien ficelés que Verneuil raconte.
Mais surtout, là, il "se" raconte !
"Mayrig" s'ouvre sur un assassinat dans les années 20. Mais plus question de pègre et de flic Zorro à la Belmondo ! Alternance d'images sur le procès d'un coupable qui ne peut être qu'acquitté et le débarquement au port de Marseille de la famille Zakarian. Comme beaucoup d'autres, elle a réussi à fuir l'horreur dont était complice la victime. Voix off de Richard Berry, mais pour uiliser un autre titre à l'affiche au même moment, c'est bien Verneuil qui parle "à propos d'Henri". De lui, quand il n'était encore qu'Achod Malakian, gamin en exil.
Durant 2 h 17, avec un titre célébrant le joli prénom de sa mère, le cinéaste filme sa vie marseillaise de l'enfance au début de l'âge adulte. Mais il secoue au passage le public par un farouche souci de témoigner au nom de tous les siens, Arméniens. L'ami qui les accueille raconte son miracle d'être rescapé d'un cortège de milliers d'hommes qui ont vraiment fait le "voyage au bout de l'enfer". Il y a alors des images insoutenables sur un génocide calculé par les Turcs retombés en barbarie. Les Arméniens sont un peuple martyr, hélas, depuis bien plus longtemps que le dévastateur séisme de 1985.
Heureusement, le traumatisant rappel s'atténue un peu avec les souvenirs d'enfance du cinéaste "dévoré par le désir de raconter !". On le comprend. Verneuil, attendri, s'attache à montrer comment sa famille a retrouvé goût à la vie malgré l'exode brutal, la douleur de compter ses morts, l'amertume de la pauvreté après l'aisance, l'angoisse de l'intégration dans une société étrangère et parfois hostile (mais beaucoup moins, hélas, que maintenant).
Ce n'est pas pour rien qu'elle s'installe rue... du Paradis ! Surtout, elle illustre ce beau principe : en cas de malheur, être unis comme les doigts d'une main. Justement, ils sont cinq. Le petit Azad (libre en Arménien), qui saura plus tard tout ce qu'il doit à son père meurtri à l'intérieur, mais digne et chaleureux ; à sa "trinité de mères", la vraie et ses deux soeurs, débordantes d'amour et d'astuces pour leur quotidien.
Pas de misérabilisme de la part du cinéaste narrateur. Au contraire, il met en images ses souvenirs par petites touches sensibles et avec un naturalisme à la Pagnol, jusqu'à la reconstitution de quartiers marseillais. C'est parfois trop studios ? Bof ! Il faut avant tout s'attacher à ce qui rend magnifiques les personnages et leurs interprètes.
Loin d'un spot de pub rabaissant qui le faisait alors louer une revue de courses en médiatique shérif, Sharif retrouve son aura d'acteur en jouant juste et sobre. Et ce sacré Verneuil, idéalisant ou pas, s'offre comme mère de cinéma Claudia Cardinale, tendre et bellissima ! Isabelle Sadoyan et Nathalie Roussel sont aussi très chavirantes.
"Mayrig" est à voir avant tout comme une formi, formi, formidable - pensée pour Aznavour(ian), le Grand Arménien qui vient de disparaître - leçon de cinéma et d'humanité !