Grâce à l'un de mes éclaireurs, j'ai découvert il y a peu qu'il existait un réalisateur américain aimant la musique shoegaze et dreampop au point de ne mettre que ça dans ses films (enfin je crois, c'est seulement le premier que je vois de lui). Alors quand j'ai vu qu'en plus l'un de ses longs-métrages avait la très flatteuse moyenne de 7,8/10, j'étais comme un fou...
Et puis Gregg Araki, il a quand même un nom marrant je trouve, on se dit que quand il s'amuse il doit avoir envie de se suicider à la mode nipponne... Ainsi, l'âme confiante et insouciante - mais pas pour longtemps - je me lançai dans l'univers de Mysterious Skin. Et bim ! Intro sur fond blanc, le gars me balance Golden Hair de Slowdive ! Frissons et émotions garantis, et certainement pas les derniers...
D'abord, un blondinet à lunettes se met à saigner du nez après un match de baseball, puis voit une soucoupe volante passer au-dessus de chez ses parents ; ensuite, un petit brun nous raconte comment il a eu ses premiers émois en voyant sa mère sucer un cowboy sur sa balançoire, et devient la star de la même équipe de baseball que le blondinet... Ca commence fort, mais ce n'est qu'un début. L'entraîneur de baseball de ces deux gosses se rapprochant du petit brun, l'invite régulièrement chez lui après les entraînements et les matches... Ils jouent aux jeux-vidéos, et le moustachu montre à ce gamin, qui n'a plus de père, des trucs bien de son âge genre pornos gores... Bien sûr, le mioche dit à son père de substitution qu'il l'aime bien. Et c'est alors que ce que l'on redoutait arriva... Mais bon sang quelle incroyable scène au milieu d'un parterre de Cheerios (ou de Loops, mais j'aime moins), ces céréales rondes avec un trou au milieu ; sauf qu'ici elles sont de toutes les couleurs !
Le réalisateur nous suggère le pire, mais avec une telle virtuosité qu'il parvient même à poétiser cette scène dérangeante, et au fond abjecte, qui bouleversera la vie du marmot (remarquez la profondeur de ce champ lexical^^). Parce qu'il y a de l'amour entre les deux. Mais malheureusement, il y a le reste aussi ; et c'est ça qui est dramatique.
Gregg Araki s'en va donc nous narrer l'histoire de ces deux gosses aux destins plus que croisés en s'attaquant au thème le plus compliqué et casse-gueule qui soit : la pédophilie. Et le gars nous envoie dans la foulée un "Même pas peur !" avec la scène d'Halloween nous suggérant ce gamin de 8 ans effectuer sur un autre gamin un peu plus grand ce qu'il pense déjà faire partie de la norme, mais surtout son plaisir. Ok d'ac, Gregg, tu veux jouer au trash ?
Evidemment, tout cela pourrait paraître gratuit et putassier. Sauf que la suite nous prouvera ô combien la psychologie des deux personnages s'avère fouillée, et surtout ô combien le réalisateur ne juge jamais, ne faisant que montrer des choses qui arrivent parfois. Parce que ça sert à ça aussi - et j'aurais presque envie de dire "surtout" - l'art. Sinon y a Disney, mais bon...
Un saut dans le temps, les enfants ont grandi ; et le petit brun désormais adolescent, incarné par un maigrelet mais charismatique et impressionnant Joseph Gordon-Levitt, se prostitue en dehors (mais pas que) de son activité de speaker de baseball, recherchant sans "relâche" le plaisir ressenti de sa première fois (eh oui...) ; préférant d'ailleurs les hommes plus âgés que lui... Son amie d'enfance, qui sait tout de lui, dira qu'il a un trou noir à la place du coeur...
Quant à notre petit blondinet, il s'avère à cette période particulièrement introverti, "une âme asexuée" comme dirait l'ami gay qui les fera se rencontrer à la fin. Lui, il croit avoir été enlevé par des aliens, et n'en dort plus, jusqu' à ce qu'il rentre en contact avec une jeune fille (Avalyn, comme le titre d'un morceau de Slowdive :)) prétendant avoir connu une expérience similaire... A noter que les deux garçons ont pour point commun d'avoir une mère possessive et un père absent.
La musique, certes très présente, se trouve cependant utilisée avec intelligence. Et force est de constater que, pour moi qui suis adepte de tous ces groupes, celle-ci apporte au film une touche surréaliste et planante nécessaire à son sujet. Le titre de Curve, puis Catch the Breeze en bagnole, ça cartonne ; Dagger en levrette, c'est juste ahurissant ; et celui de Cocteau Twins m'a carrément fait chialer. Faut dire que c'est chialant tellement c'est beau Cocteau Twins. Le morceau de Ride, que j'avais un peu perdu de vue, fonctionne très bien également. Quant à cet ending sur Sigur Ros, mamamia ! Mais bon, on n'est pas là pour parler musique, hein !
Quoi qu'il en soit, le thème de la pédophilie me semble parfaitement traité ici, avec deux approches opposées et compatibles. Celles du refoulement et, plus prosaïquement, celle du défoulement. Celui de la prostitution l'est tout autant, avec des clients aux comportements très différents, dont un malade de la peau particulièrement émouvant (on constatera par ailleurs l'absence de musique au cours de la scène d'ultra violence avec le dernier client et de ses conséquences). Mais le plus important, c'est l'absence totale de manichéisme. Après, si j'ai pris une bonne grosse mandale avec Mysterious Skin, je reconnais également ses quelques défauts, comme des personnages secondaires relativement caricaturaux, et bien sûr le jusqu'au-boutisme un peu voyeuriste de certaines scènes - et vous savez de laquelle je veux parler...
N'empêche que d'autres séquences se révèlent d'une infinie poésie (la neige, le final) et m'ont littéralement bouleversé... Parce que je suis un garçon sensible. Et ce d'autant plus que c'est terrible de se dire que, peut-être, nous-même avons aussi des zones d'ombres refoulées. Et rien que pour ça, en plus de la perfection de la mise en scène, des acteurs, de la narration, de la prise de risque, de l'empathie, et de la musique évidemment, Mysterious Skin a déjà réussi à s'installer parmi mes films favoris. Parce que je n'avais jamais vu ni entendu un truc pareil, et surtout d'une telle qualité.