"Kind hearts are more than coronets, and simple faith than Norman blood" : de bons cœurs valent plus que des couronnes, et une simple foi plus que tout le sang normand. C'est ainsi que Edith, le personnage le moins névrosé et le plus sain d'esprit du film, s'adresse au protagoniste Louis Mazzini alors qu'il lui fait la cour, afin de louer son caractère prétendument distingué, respectueux et raffiné. Lorsque cet échange intervient, il est chargé d'une ironie (involontaire de la part de Edith) colossale, tant ces qualificatifs se trouvent être en totale contradiction avec le comportement de Louis en dehors de cette relation. Louis, un pauvre aristocrate déshérité dont la mère fut reniée par la haute noblesse britannique et dont l'ascension sociale sera uniquement motivée, à l'origine, par un puissant désir de vengeance. Dans le portrait au vitriol de l'aristocratie anglaise qu'il dépeint avec autant de vigueur que de cynisme, à la fin des années 40, Noblesse oblige fait preuve d'une impudence et d'une amoralité aussi incroyables que jouissives.


Le problème est simple, dans une certaine mesure : n'étant pas l'héritier direct de la famille d'Ascoyne, Louis devra se débarrasser de la petite dizaine d'intermédiaires qui le sépare de son titre de noblesse retrouvé. Armé d'un humour noir féroce so british, bardé de références littéraires raffinées en tous genres, le film parcourt les rangs de l'aristocratie anglaise de l'époque édouardienne (début du XXe siècle) en y révélant toutes ses compromissions, ses bassesses, ses trahisons, et sa longue liste de névroses très diversifiées. Personne ne semble épargné dans ce jeu de massacre, et Alec Guinness s'en donne à cœur joie pour interpréter des personnes toutes plus loufoques les unes que les autres. Des religieux, des militaires, des suffragettes, des corrompus, des alcooliques, etc. On retrouve aussi de manière indirecte l'obsession aristocratique pour les ascendants, à travers l'interminable arbre généalogique dont Louis se sert pour identifier ses cibles et procéder à un élagage sanglant.


L'histoire est presque entièrement narrée de manière rétrospective, à l'occasion d'un flashback occasionné par l'écriture des mémoires du protagoniste depuis une cellule, à la veille de son exécution. Louis raconte ses agissements sur un ton délicieusement satisfait, et voir ce dandy témoigner une telle satisfaction quant à sa revanche sociale meurtrière, avec un flegme déconcertant, se révèle particulièrement savoureux. "When a man knows he's going to be hanged in a few hours, it concentrates his mind wonderfully", assure-t-il très calmement. Ses forfaits sont rapportés avec une gaieté non-feinte et une insouciance remarquable, et cette tonalité permet de rendre le commentaire permanent de la voix-off très digeste, partagé entre sérieux et sarcasmes. On passe d'un "accident" à un autre avec un rythme effréné, du poison à la chasse en passant par une montgolfière, un bateau, ou une chambre noire. Indépendamment de tout principe moral, il est bien difficile de ne pas tomber sous le charme de cet homme qui a reconquis son aristocratie avec tact et élégance, dans un récit aussi bienveillant, quand bien même il s'agirait d'une revanche jalonnée d'homicides. Même si l'ultime rebondissement résonne comme un sursaut moralisateur, il n'efface en rien tout le soin apporté à cet anéantissement hautement subversif de la noblesse anglaise.


http://www.je-mattarde.com/index.php?post/Noblesse-oblige-de-Robert-Hamer-1949

Morrinson
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Mon cinéma britannique, Mes comédies et Cinéphilie obsessionnelle — 2019

Créée

le 6 août 2019

Critique lue 379 fois

15 j'aime

12 commentaires

Morrinson

Écrit par

Critique lue 379 fois

15
12

D'autres avis sur Noblesse oblige

Noblesse oblige
Matrick82
6

Hamer, tu me...

Décidément, deuxième déception après le visionnage d'un film sur lequel intervient le sieur Hamer. Attention, comparé à "La Taverne de la Jamaïque" c'est pas une GROSSE déception, et puis Guiness est...

le 10 déc. 2013

39 j'aime

22

Noblesse oblige
Ugly
10

Humour noir et sang bleu

Pour ma millième critique, je souhaitais un film exceptionnel, un bijou inoxydable, et quoi de mieux que Noblesse oblige que j'ai pu rattraper en replay ce jour ?, ça aurait été un crime de laisser...

Par

le 9 févr. 2018

36 j'aime

30

Noblesse oblige
Docteur_Jivago
8

Noblesse Oblige... Sans aucun doute !

Collection « Tentation par mes éclaireurs » : Plume231 C’est depuis le fond de sa cellule que Louis Mazzini d’Ascoyne raconte son passé criminel. Plus précisément ses jeunes années où il est, tout...

le 29 juin 2014

36 j'aime

10

Du même critique

Boyhood
Morrinson
5

Boyhood, chronique d'une désillusion

Ceci n'est pas vraiment une critique, mais je n'ai pas trouvé le bouton "Écrire la chronique d'une désillusion" sur SC. Une question me hante depuis que les lumières se sont rallumées. Comment...

le 20 juil. 2014

144 j'aime

54

Birdman
Morrinson
5

Batman, évidemment

"Birdman", le film sur cet acteur en pleine rédemption à Broadway, des années après la gloire du super-héros qu'il incarnait, n'est pas si mal. Il ose, il expérimente, il questionne, pas toujours...

le 10 janv. 2015

139 j'aime

21

Her
Morrinson
9

Her

Her est un film américain réalisé par Spike Jonze, sorti aux États-Unis en 2013 et prévu en France pour le 19 mars 2014. Plutôt que de définir cette œuvre comme une "comédie de science-fiction", je...

le 8 mars 2014

125 j'aime

11