Tel l’écho d’une période historique tumultueuse, les années 40 (et début 50) furent plutôt mornes en termes de contenu Disney : car sitôt les excellents Fantasia et Pinocchio mentionnés, l’axe Dumbo - Alice au Pays des Merveilles n’aura suscité que trop peu mon enthousiasme. Puis vient ce diable de Peter Pan, un soubresaut hautement bienvenu tant le long-métrage est une réussite sur toute la ligne : nostalgie et émerveillement en attestent, la redécouverte du Pays Imaginaire secoue avec aisance le môme en tout un chacun.
Pour autant, adapter pareil récit littéraire british pouvait poser question : l’exemple de Lewis Carroll et son œuvre phare avait démontré des risques inhérents à pareil process, profondeur et complexité de fond ne rimant guère en l’état avec un produit classique à destination du jeune public. Fausse alerte a posteriori, ce Peter Pan made in Disney évoquant avec un certain doigté le riche sous-texte du roman de J.M. Barrie : ce faisant, il parvient à aller à l’essentiel et prodiguer un divertissement réjouissant, fruit d’une balance intéressante entre légèreté de ton et autres détails davantage ambivalents.
Au contraire du périple d’Alice, dont la teneur loufoque jusqu’au-boutiste affectait l’immersion, le présent long-métrage nous fait prendre notre envol sans coup férir : l’humour marque d’emblée son territoire par l’entremise de Mr. Darling et Nana, tandis qu’aucune « ombre » ne viendra ternir l’entrée en scène de Peter Pan... puis sonne le départ pour le Pays Imaginaire, et voici que les premières notes d’une BO ENFIN remarquable retentissent, de quoi conforter à n’en plus finir notre retombée en enfance.
Ce long-métrage d’animation est, à mes yeux, le premier Disney dégageant ce soupçon de magie à nul autre égal, chose que seul le visionnage de Pinocchio (et Fantasia, dans un autre registre) était parvenu à susciter : au moyen de chansons mémorables donc, mais également d’une patte graphique sublimant les péripéties de Wendy et ses frangins, au point de presque impressionner en comparaison de ses prédécesseurs. Mais les fondements de son succès tiennent avant tout des tenants et aboutissants du monde propre à Peter Pan, tant sur le plan ludique qu’induit, plus subtil comme évoqué précédemment.
Car si le duo Crochet / Crocodile accouche d’une ribambelle de gags doués d’une simplicité hilare, avec la bénédiction de ce bon Monsieur Mouche (excellent sidekick), ces deux personnages n’illustrent que trop bien la profondeur implicite du tout : au rythme de son entêtant « tic tac » (et d’un thème musical culte), le crocodilien s’apparente à un stalker tenace collant aux basques d’un pauvre hère fuyant son imminent trépas, marque d’un pan thanatique indissociable de Peter Pan.
Ce dernier abonde également en ce sens, son refus de grandir cristallisant cette volonté implacable de figer l’écoulement du temps, faisant ainsi du Pays Imaginaire un havre intemporel tenant lieu du carcan. Certes, on retiendra surtout les tribulations de ces enfants immortels au regard d’un premier niveau de lecture divertissant, l’imagination cantonnée mais savoureuse que recèle pareil environnement (pirates, indiens d’Amérique etc.) y contribuant fort bien ; mais au même titre qu’une forte teneur possessive, au point de friser des actes de jalousie meurtrière (Clochette), ou même renforcer la sensation d’un envers coercitif (Peter, lui-même très ambiguë), il n’en demeure pas moins que le film n’aura en rien renié le poids de l’œuvre originale.
Pour le reste, Peter Pan est donc un coup de cœur en bonne et due forme, dans la droite lignée de cet immense instant de tendresse prodigué par Wendy à une bande de gamins sans aucun repère. À l’échelle de la filmographie Disney, il semble également marquer un premier tournant « qualitatif » au regard de son propre statut culte et des long-métrages qui s’en suivront... L’adulte que je suis et le marmot d’alors en trépignent littéralement d’impatience.