Le dérèglement comportemental des fourmis de l’Arizona provoque un déséquilibre de la biodiversité animale. Très vite, leurs prédateurs naturels disparaissent : araignées, mantes religieuses, et même lézards. Deux spécialistes sont chargés de se rendre sur la zone pour démêler ce mystère.



Saul Bass : une destinée



Voir Saul Bass à la tête d’un film comme celui-ci a bien plus d’importance qu’on pourrait le croire. Bass est un nom renommé pour qui s’intéresse à l’évolution des effets visuels au cinéma. D’abord créateur d’affiches pour la communication et la publicité aux États-Unis, cet homme prend rapidement contact avec le cinéma pour exercer ses talents : on lui doit notamment certaines des plus belles affiches et une redéfinition de l’esthétisme du générique de film.


Habituellement cantonné à l’ouverture et/ou à la clôture d’une œuvre, Bass transforme le générique en une fonction utile pour devenir une méthode artistique à part entière. De créateur des visuels publicitaires, aux affiches hollywoodiennes, jusqu’aux génériques de films, Bass obtiendra aisément le rôle de conseiller visuel pour la mise en scène d’œuvres cultes à l’instar de la title sequence de « Spartacus ». Toutefois, ses créations les plus réussies demeureront auprès d’Hitchcock avec notamment l’introduction célèbre de « Psychose ». Les meilleurs réalisateurs s’arrachent donc son travail, et Martin Scorsese après sa collaboration avec Bass pour « Casino », « les Affranchis », et les « nerfs à vif » dira de lui : Ses génériques ne sont pas de simples étiquettes sans imagination- comme c'est le cas de nombreux films- bien plus, ils font partie intégrante du film en tant que tel. Quand son travail apparaît à l'écran, le film lui-même commence vraiment.


Mais comme pour souligner la prédestination de Bass pour diriger Phase IV, il participera aussi à des films comme « Tarantula ! » mais surtout « Them ! » Ce dernier film narrant l’histoire de fourmis géantes qui attaquent les populations pour devenir l’espèce dominante de la planète.



Briser la barrière entre l’insecte et l’Homme



D’emblée, le film déploie un regard voyeuriste et une approche quasi-documentaire dans une fourmilière. Une mise en scène impeccable qui fera régulièrement des retours insistants pour attiser davantage notre curiosité. La voix-off qui divulgue le contexte de l’intrigue a toutes les caractéristiques d’une émission des chaînes découverte sur la faune et la flore : elle est douce et apaisante. D’un ton léger, elle nous narre le dérèglement d’un écosystème terrestre en jonglant entre des images venues de l’espace et de planètes avant de s’immiscer au cœur de la fourmilière.


Cette succession de plans élabore une cohérence nette avec l’intrigue qui part du constat qu’un signal venu de l’espace serait la cause de la perturbation chez les fourmis. On ne connaîtra jamais l’origine de ce signal et surtout pas s’il était extraterrestre en guise de préparatifs pour une future invasion. Même si sur le papier l’idée a du charme, le film préfère basculer constamment du grand (l’Homme) à l’infiniment petit (la fourmi) pour dépeindre l’étendu du chaos improbable à venir sans s’enfermer dans les extravagances propres au récit de science-fiction. Tel « les Oiseaux » d’Hitchcock, mais dans une logique beaucoup plus fataliste et une morale explicite.


S’en suit une visite guidée de l’Antre des fourmis par une de ses plus fidèles membres. Nous pénétrons alors dans un autre monde, un monde du dessous qui paraît à la fois familier et étranger. Notre petite éclaireuse dévoile sa « technologie » et nous y trouvons de formidables constructions, notamment un totem en forme de losange. La proximité de la caméra nous permet d’être les témoins d’une nouvelle société intelligente avec ses codes et ses activités. Par les idées graphiques de Bass, nous sommes finalement au niveau des insectes avec une mise en scène qui multiplie la géométrie des plans. De l’animation en image par image, en accélérée, sans oublier la variation du champ, toutes ces innovations permettent de briser la barrière entre l’insecte et l’Homme.



Connais ton ennemi et connais-toi toi-même ; eussiez-vous cent guerres à soutenir, cent fois vous serez victorieux



Ce voyage intérieur chez des êtres aussi minuscules, au-delà d’être beau, est un moyen d’enclencher les leviers des affrontements à venir. Car si on nous permet d’épier la « technologie » des fourmis, une partie de l’intrigue souhaite nous montrer celle de l’Homme pour les comparer. En effet, on peut y voir une sorte de partie d’échec pour la suprématie ou peut-être la préparation de deux armées qui s’apprêtent à combattre car la fourmilière se tient face au dôme des deux spécialistes. Des monolithes se dressent fièrement, presque avec arrogance, face à la construction de l’Homme pour le défier. Quintessence de la science et de la modernité, notre monument du savoir doit concourir contre la construction la plus ingénieuse de Mère Nature.


Le film est découpé en phases dont la phase finale sera la quatrième. Du point de vue des deux scientifiques ces classifications ne sont que des étapes logiques qui permettent des analyses car les aléas de la bureaucratie exigent des données abondantes rapidement. Mais pour les fourmis, chaque phase semble correspondre à des manœuvres d’attaque. Les deux adversaires ne jouent pas totalement à la même partie, et quand les spécialistes constatent trop tard qu’elle est déjà bien entamée, les fourmis ne cessent de prouver en quoi elles peuvent être supérieures. Mieux organisées, moins égoïstes, dans cette bataille l’Homme est affaibli par son train de vie luxueux et son besoin de reconnaissance tandis que les fourmis sont en revanche prêtes pour la conquête. Chacun son objectif : la vie pour les fourmis et l’orgueil pour l’Homme. Une manière de nous prouver que l’esprit individualiste de l’être humain finira par causer sa propre perte.


Phase IV serait alors davantage un film sur la fin de l’humanité. Après des siècles de domination sur les autres espèces et de domestication de la Nature, nos progrès ne sont plus d’aucun secours face à la noirceur justifiée d’un monde qui met un terme à la suprématie de l’Homme. D’une certaine façon, ce ne sont pas tant les fourmis qui prennent le pouvoir, mais l’écosystème terrestre qui reprend sa juste place.



Conclusion



Difficile d’y voir autre chose qu’une nouvelle critique contre l’Homme et son illusion de contrôler la Nature. L’ensemble du film amène à ce message que le dérèglement écologique ne doit pas si facilement être attribué aux fourmis. Si les deux spécialistes viennent initialement pour réparer un déséquilibre, il s’agit toutefois d’une action hypocrite car l’Homme a depuis longtemps provoqué des déséquilibres bien plus graves pour s’enrichir et pérenniser son luxe : pollution, déforestation, disparitions des espèces.


Ici, la civilisation est éjectée par la Nature qui possède dorénavant un bras armé efficace pour l’expulser. Et quelle arme ! Un bras de milliers d’êtres que nous jugions trop insignifiants pour devenir une sérieuse menace. On peut y voir une forme de mise en garde de notre aveuglement face aux nombreux signes d’agonie de la Nature. Que finalement l’humanité, si elle ne change pas, subira forcément un changement par la force.



Parfait altruisme et don de soi
Parfaite vision du travail
Sans défense individuellement
Si puissante en groupe...


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le 5 juil. 2021

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Death Watch

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