En 1979 sort Alien, réalisé par Ridley Scott.
En 2012 sort Prometheus, réalisé par Ridley Scott. Et la comparaison s'arrête plus ou moins là.
Prometheus est, comme promis, un film qui "contient l'ADN d'Alien", sans en être une préquelle pure et dure. Le principe peut séduire puisque novateur : reprendre le decorum d'un film indéniablement culte pour y modeler quelque chose d'inconnu. Inconnu, c'est effectivement le cas, et les connaisseurs du chef-d'oeuvre de 1979 vont devoir se résoudre à garder à l'esprit tel un réconfortant mantra que, pour 99% de Prometheus, il y a une indépendance totale vis-à-vis d'Alien. Alors pourquoi, et comment ?
C'est directement dès l'ouverture et l'apparition du premier personnage que la démarcation est faite. Cette dernière ne faiblira que très peu tout au long du film. Pourtant, "l'ADN" Alien est bien présent, au travers de décors, de musiques et de... Space Jockeys - figures mystérieuses de la saga initiée en 1979. C'est à ce stade que Ridley Scott dérange : est-ce ou n'est-ce pas une préquelle, en fin de compte ? On peut penser, concernant cet aspect, qu'il aurait mieux valu faire tout ou rien (et à choisir, de préférence rien) plutôt que tout et rien. Car à trop recevoir des bribes d'idées, des bouts de cordes de rappel et des chutes de références, le spectateur averti finit par ne plus vraiment savoir où donner de la tête.
S'il est évident au fil de Prometheus que de plus en plus d'éléments renvoient à Alien, ceux-ci ne le font toujours que par des moyens détournés voire alambiqués, ce qui laisse au connaisseur l'impression d'avoir quelque chose à comprendre et simultanément la frustration de ne pouvoir rien saisir au vol. Une ambivalence qui laisse coi, voire profondément perplexe lors du brainstorming (inévitable) qui accompagne et prolonge la séance.
L'idée que "les 99% de Prometheus sont indépendants d'Alien" s'avère devenir alors un bouclier indispensable, mais ne vaut guère mieux qu'un cache-misère - puisque vraisemblablement, Prometheus semble imbriqué dans Alien de façon viscérale. Des questions (à foison) restent en suspension, et des plot holes pointent gentiment le bout de leur nez.
Le film en lui-même, paradoxalement mais sans surprise, se révèle être de la science fiction de la meilleure facture, avec sa cohérence et son univers propres. Sir Scott se montre poète le temps de sublimes plans spatiaux ou d'extérieurs, tournés avec un bon goût et une inspiration manifestes, et se mue en savant fou lors de visions extra-terrestres aussi tentaculaires que visqueuses (à ce titre, un court plan centré sur un oeil et une opération chirurgicale en feront frémir plus d'un).
La direction d'acteurs est aussi efficace que la réalisation et de ce côté, on est en droit de s'extasier devant les performances de Charlize Theron, Noomi Rapace et Michael Fassbender qui crèvent l'écran. Cependant, sur ce point le film affiche également une ambivalence : entre les personnages brillamment écrits interprétés par les trois acteurs susmentionnés et les autres membres de l'équipage, un fossé se creuse de façon ostensible. Un géologue post-punk, un commandant de bord sensiblement décalé, et un scientifique et petit ami de Noomi Rapace gentiment improbable contrastent sévèrement avec le reste du casting, créant parfois de vraies ruptures dans la tonalité du métrage avec quelques phrases plus enlevées, plus légères, qui peuvent sembler déplacées et généralement impromptues. La suspension d'incrédulité est parfois mise à rude épreuve, ce qui laisse - à nouveau - perplexe.
Il s'agit de rappeler qu'Alien - encore lui - détonnait totalement, souvenez-vous, en montrant au début du film un équipage de vaisseau spatial qui dès le réveil déjeunait en se grillant une cigarette et en buvant un café. A l'époque de Star Wars et autres Cosmos 1999, l'image avait de quoi surprendre. Le procédé semble ici moins bien exploité, voire embarrassant lors d'une scène où le commandant plaisante de façon hors de propos avec deux de ses hommes coincés en mauvaise compagnie dans une structure battue par une tempête.
Sans entrer dans de quelconques révélations, l'ensemble tient cependant plutôt la route jusqu'à la fin. La vingtaine de minutes concluant le film se montrant immersive et se concentrant presque exclusivement sur les personnages les plus "crédibles", la machine fonctionne de façon satisfaisante. On peut regretter malgré tout une histoire de filiation maladroitement amenée et, encore une fois, des éléments développés en surface et laissant de grosses questions pas forcément pertinentes.
Finalement, Prometheus est-il le voyage escompté ? Oui et non. Cherchant à se démarquer d'Alien tout en y restant fermement accroché, le film reste ambigu et il est difficile de dire au final quels sont les éléments à prendre pour argent comptant et quels sont ceux dont il faut simplement accepter l'existence sans plus de tergiversations. La comparaison avec Alien, qui semblait inévitable sur le papier, ne donne pas vraiment l'impression d'avoir cherché à être évitée ; mais clairement si la conclusion devait se porter seulement dans cette direction (ce qui serait d'une pertinence très limitée), il est inutile de se leurrer : Alien reste aisément indétrônable.
Le retour de Ridley Scott à la science-fiction reste tout de même, cela va sans dire, un film à voir, ne serait-ce que pour l'exploration d'un "nouvel" univers et la rencontre avec des personnages pour le moins passionnants. En essayant, parfois tant bien que mal, de répondre aux interrogations suscitées par "les 99% de Prometheus sont indépendants d'Alien"... Jusqu'à preuve du contraire ?
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