Benjamin Millepied venait de passer 20ans aux États-Unis. Après une carrière au New York City Ballet en tant que « principal dancer » (danseur étoile), il est nommé en 2014 directeur du ballet de l'Opéra au sein de l'Opéra National de Paris. Les réalisateurs Thierry Demaizière & Alban Teurlai (Rocco - 2016) ont suivi le chorégraphe et nouveau directeur durant plusieurs semaines et lèvent le voile sur le processus de création de “Clear, Loud, Bright, Forward”, son nouveau ballet de 33 minutes où 16 jeunes danseurs parmi les 154 du ballet ont eu la chance et le privilège d’y participer.
Le chorégraphe succède à Brigitte Lefèvre qui aura dirigé la compagnie pendant 20ans (et que l’on peut apercevoir à travers le documentaire de Frederick Wiseman : La Danse, le ballet de l'Opéra de Paris - 2009). Deux mondes les séparent, elle avait 70ans quand elle a quitté ses fonctions et lui 37 quand il l’a remplacé. Des méthodes d’un autre âge, une approche différence, un autre style, une tout autre vision qui viendra bousculer les codes de cette vieille institution fondée au XVIIème siècle ! De par son regard et sa culture, il espère insuffler à la vieille dame et aux danseurs un souffle nouveau, mais il n’est jamais simple de changer des règles inscrites dans le marbre.
Des premières répétitions jusqu’au filage, les doutes et la fatigue se font ressentir aussi bien sur le visage du chorégraphe que sur l’ensemble de la troupe. Ils se donnent corps et âmes, se blessent et souffrent en silence jusqu’à la grande première. Durant 120 minutes, les réalisateurs parviennent avec une rare aisance à nous immiscer au sein d’un univers feutré, où entrechats & arabesques se succèdent dans une gestuelle dont seul le chorégraphe à le secret.
La caméra nous entraîne dans les différents recoins de l’Opéra, des loges en passant par les bureaux aux salles de répétition jusqu’aux coulisses. Ça fourmille non seulement sur scène mais aussi en dehors, comme en atteste les innombrables intervenants que l’on est amené à croiser dans l’intimité du chorégraphe (l’assistante de B.M., le délégué syndical, le directeur général, la chef de chant, l’administrateur, la créatrice des costumes, le chef du service couture, le régisseur général, les accessoiristes, les médecins de danse, les scénographes, le compositeur, le chef d’orchestre, …).
Relève : Histoire d'une création (2016) dresse le portrait de Benjamin Millepied qui s’échine à donner corps et âme à sa création tout en essayant tant bien que mal de dépoussiérer cette institution sclérosée et d’un autre âge. On s’étonnera d’ailleurs de voir le chorégraphe dire tout haut ce que plein de gens pensent tout bas. Il ne rechigne jamais à dézinguer l’institution qui l’emploi, n’hésitant pas un instant à dévoiler ses défauts (et ils sont nombreux), souhaitant tellement redynamiser, changer les règles et donner plus de libertés aux danseur(se)s. Ses propos sont très intéressants et en disent long sur le raciste sous-jacent au sein de l’Opéra « j’ai entendu très clairement en arrivant, "on ne met pas une personne de couleur dans un ballet parce que ça fait une distraction". Ça veut dire que, si y a 25 filles blanches avec une fille noir (…) dans un corps de ballet tout le monde doit être pareil, tout le monde doit être blanc ». La transition pour lui est d’autant plus violente que, venant des États-Unis où la culture du melting-pot est bien encrée, en arrivant en France, il a clairement dû déchanter.
Nul besoin d’être un passionné de danse (ce qui est mon cas) pour apprécier à sa juste valeur le film tant ce dernier parvient facilement à nous captiver. On suit pas à pas le cheminement créatif du chorégraphe, l’importance qu’il accorde aussi bien à la musique qu’à ses danseurs et on n’en perd pas une miette jusqu’à la grande première. Un chorégraphe avant-gardiste avec une vision moderne des corps et de la danse et une liberté de ton qu’on lui envie. Rappelons tout de même qu’il aura au moins eu le mérite de grandement améliorer les conditions de travail des danseurs, en remplaçant les parquets en bois et en instaurant un suivi médical pour chacun des danseurs. S’il avait eu plus de temps, sans nul doute qu’il aurait fait beaucoup pour l’institution, mais comme nous l’indique la toute fin du film, Benjamin Millepied donnera finalement sa démission 4 mois après cette grande première, n’ayant pu trouver au sein de l'Opéra National de Paris toute la liberté créative dont il rêvait, après seulement 18 mois de mandat.
Thierry Demaizière & Alban Teurlai (Lourdes - 2019) nous offrent ici un remarquable documentaire, sublimé par une mise en scène soignée, alternant slow motion et captations de danse en steadicam, le tout, superbement accompagnée par une musique composée par Pierre Aviat. Une magnifique immersion dans le monde de la danse, dans le corps et l’esprit d’un talentueux chorégraphe.
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