La saga Rocky se poursuit, et après les frasques d’un quatrième opus plus spectaculaire et grandiloquent, Rocky V va brutalement changer de ton, devenant par ailleurs le film le plus mal-aimé de la saga.
Le combat entre Rocky et Ivan Drago dans Rocky IV avait constitué un véritable sommet, proposant au boxeur de Philadelphie ce qui fut sûrement son plus grand défi, face à un adversaire paraissant invincible, capable de tuer ses adversaires rien que grâce à la puissance inouïe de ses poings. Et si Rocky a réussi à terrasser la bête dans un élan pacifiste critiquant l’absurdité de la Guerre Froide, ça n’a pas été sans conséquences. Touché au cerveau par les coups répétés subis lors de cet âpre combat, Rocky est condamné à la retraite pour ne pas risquer des lésions encore plus graves. Pour couronner le tout, Paulie a traité avec un homme d’affaires véreux qui a dépossédé toute la famille de ses moyens. Retour à la case départ pour Rocky et sa famille donc, et sans l’espoir de pouvoir recourir à la boxe, même si George Washington Duke, un manager provocateur et peu scrupuleux, le harcèle pour un autre combat.
Depuis un peu plus de deux films, nous nous étions habitués à voir un Rocky aisé, loin de la précarité du premier film, mais, cette fois, tout s’est effondré et il faut faire machine arrière. Après une évolution progressive qui paraissait être un éloignement inéluctable de l’esprit original de Rocky, Rocky V essaie d’opérer un retour aux sources, teinté d’un désespoir assez inédit et omniprésent, dont on ne peut jamais véritablement se défaire. Là où les précédents Rocky faisaient systématiquement triompher le héros face à l’adversité, chacune de ses démarches se solde ici par un échec, entre la perte de ses biens, sa relation avec son fils et son coaching de Tommy Gunn.
Un pessimisme relativement désarmant pour les amateurs de la saga, qui lui reprochent d’ailleurs souvent ce changement de ton qui s’avère très éloigné de ce qu’est supposé représenter Rocky aux yeux du public. Cependant, cela peut aussi être vu comme un choix assez audacieux, une manière somme toute logique de faire revenir Rocky aux fondamentaux pour reprendre racine. Car Rocky, héros pour des millions de fans, est un peu devenu un épouvantail pour Sylvester Stallone, un alter ego devenu un peu trop envahissant, notamment dans sa relation avec son fils Sage, qu’il illustre directement dans ce Rocky V. C’est la vision d’une passion dévorante qui l’a détourné trop souvent d’autres choses et personnes au moins aussi importantes, qu’il tente de remettre ici au premier plan en mettant l’emphase sur l’aveuglement de Rocky, notamment vis-à-vis de sa prise en main de la carrière de Tommy Gunn, d’abord un exutoire, avant d’être une déception totale.
Echec commercial et critique, Rocky V est sûrement le film le moins aimé de la saga, en plus d’être le moins connu. Ramenant Rocky sur les traces de son passé, retrouvant John G. Avildsen, le réalisateur du premier film, derrière la caméra, son ton pessimiste qui dénote avec l’esprit général de la saga reste encore en travers de la gorge de nombreux fans, même si c’est justement ce qui rend cet épisode si atypique et à part du reste. Certes imparfait, souvent critiqué pour le jeu des acteurs (notamment Tommy Morrison), Rocky V mérite d’être mieux considéré qu’il ne l’est actuellement, par sa capacité à offrir un regard neuf sur le personnage et le mythe, et à offrir une véritable thérapie à un Sylvester Stallone lui-même de plus en plus aux prises avec les doutes. On pense, aussi, à l’un des plus beaux passages de la saga, où Rocky revient dans la salle d’entraînement abandonnée de Mickey et se remémore une discussion avec son ancien entraîneur, très touchante et émouvante, des moments comme seuls les Rocky peuvent nous offrir. Né dans la rue, Rocky retourne à la rue, et c’est dans la sueur et le sang qu’il devra chasser ses démons pour espérer vivre à nouveau.
Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art