Dans la vie, j'ai deux passions : le cinéma et le cinéma sud-coréen. La première est facile à assouvir avec un grand nombre de films sortant dans nos salles, sans compter tout les classiques que je n'ai pas encore vu. La seconde est moins évidente, il faut attendre qu'un sympathique distributeur nous offre l'opportunité de se plonger dans ce cinéma à part où le mélange des genres fait des étincelles, tout comme la mise en scène et son esthétisme si séduisant.
Dès la première scène, on est pris aux tripes. Deux hommes se font face et débattent au sujet du poisson et de ses yeux. Le premier se délecte de la chair de l'un d'eux, alors que le second ne peut s'en nourrir à cause de ses yeux. Il ne peut manger, ni même tuer tout être vivant en le regardant dans les yeux. On le perçoit comme un faible, alors que c'est tout le contraire. Cette introduction résume les événements à venir.
Le réalisateur Byun Sung-Hyun va jouer avec le spectateur, en fragmentant chronologiquement son histoire. Au premier abord, elle se compose en deux périodes : après et pendant la prison. Lors de sa sortie de prison, Jo Hyun-su (Si-wan Yim) est attendu par Jae-ho (Kyung-gu Sol). Une scène où chaque plan est du travail d'orfèvre : l'ouverture des portes du pénitencier, Jae-ho allongé dans la voiture rouge flamboyante, la haie d'honneur, le burger et Natasha avec ce plan aérien sur le bolide fonçant à toute allure avec le rire de Jae-ho alors que Jo Hyun-su goûte aux plaisirs de la chair. Au-delà de la beauté époustouflante des plans, il y a la succession des scènes remettant en question la vérité aperçue dans la précédente. Le point commun à ce puzzle est l'état d'esprit de Jo Hyun-su, il passe par toute une palette d'émotions et le spectateur vit le film de la même manière. Nous sommes au cœur de l'action, on avance avec Jo Hyun-su ou du moins, c'est ce que l'on croit. Les flash-backs reculent de plus en plus dans le temps et des moments anodins en apparence, prennent de l'importance dans ce jeu d'échecs ou chacun est le pion de l'autre.
Le polar prend la forme d'une tragédie grecque. Le film est lumineux dans sa première heure, avant de devenir sombre dans la deuxième heure. La violence est permanente, mais il y a ce côté fun qui rend l'ensemble jouissif, comme le duel de claques ou l'affrontement pour récupérer les tampons. Mais le film vit au rythme de l'amitié entre Jo Hyun-su et Jae-ho. On passe de la lumière à l'ombre, dès que le doute s'installe dans l'esprit de chacun. Ce doute semble irréversible et va plonger tout les protagonistes dans la fureur et le sang. Les convictions et repères de chacun volent en éclats. Il en va de même dans l'esprit du spectateur qui ne sait plus à quel personnage s'accrochait pour ne pas perdre pied dans ce jeu de manipulation. La ligne entre le bien et le mal est toujours aussi ténue. Chaque camp utilise les mêmes moyens pour arriver à leurs fins, la seule différence se joue sur le port d'un badge.
C'est aussi l'histoire d'une amitié ambiguë. Jo Hyun-su et Jae-no se sont rencontrés en prison. Ils vont affronter ensemble divers obstacles, jusqu'à ce qu'un drame les lie à tout jamais. Ils vont partager la même cellule, se retrouver à l'extérieur et bosser ensemble. Ils n'ont pas de relations charnelles avec des femmes, du moins en dehors de la Natasha aperçue au début. On navigue dans un univers machiste ou la femme ne semble pas avoir sa place, sauf Cheon (Jeon Hye-Jin). Pour exister parmi ses mâles en perpétuelle compétition pour savoir qui a la plus grosse, elle va devoir utiliser le même langage et attitude. Elle se montre aussi burinée qu'eux et va pouvoir jouer dans la cour des soi-disant grands. Une cour ou on retrouve les liens du sang, de l'amitié et du pouvoir. Ils vont se mélanger et finir par exploser à la figure de chacun.
C'est un polar à l'esthétisme envoûtant ou se côtoie les rires, les larmes et le sang. Les conversations et affrontements sont mise en scène de la même manière, en ne laissant pas souvent le temps au spectateur de reprendre son souffle. Un film a consommé sans pitié.