1958
Willy Higinbotham, spécialiste du nucléaire officiant dans un centre de recherche des Etats-Unis, est régulièrement amené à se servir d'un appareil bien connu : l'oscilloscope, instrument de mesure permettant de visualiser un signal électrique. Ancêtre des futurs geek, l'homme s'en servira pour inventer le fameux tennis qui est au jeu vidéo ce que le premier planeur est à l'A380.


1983
Alors que le jeu vidéo a déjà fait son trou dans le monde du divertissement de masse (il a même connu une petite crise économique à la fin de cette même année), voilà qu'apparaît la première console 8 bits : la Famicom de Nintendo, rebaptisée deux ans plus tard Nintendo Entertainment System (ou NES) lorsqu'elle ira conquérir le marché US.


1988
Concurrent direct de la firme japonaise, Sega contre-attaque et balance sa console 16 bits, la MegaDrive, qui fait un carton, notamment grâce à la popularité de jeux d'arcade déjà établis qui se sont vus reconvertis en jeux de salon.


1990
Il faudra deux ans à Nintendo pour suivre le mouvement avec sa propre 16 bits, la Super NES. Pas bien grave : dans le dernier trimestre de la même année, l'Europe voit débarquer le dernier bébé de la firme, la GameBoy. Un succès record pour une console portable rapidement incontournable.


1994-96
De nouveau en avance sur Nintendo, Sega propose cette année une console 32 bits, la Saturn, face à laquelle réagira Nintento en 1996 avec sa mythique Nintendo 64. Mythique mais pas forcément rentable, les gosses ayant usé leurs pouces sur la machine ne se doutant pas qu'elle affiche un retour sur investissement plutôt timide.
Mais la bataille semblait de toute façon perdue d'avance : en 1994, Sony était déjà venue jouer des coudes avec les deux géants via la tout aussi célèbre Play Station, console 32 bits faisant de l'enseigne le nouveau leader d'un marché où elle débute à peine !


La suite, vous la connaissez : encore aujourd'hui, Sony et Nintendo continuent de se tirer la bourre, rejoints au cours des années 2000 par Microsoft et sa XBOX. Pourtant, se souvenir du chemin parcouru par l'industrie vidéoludique en à peine un demi-siècle n'est pas inutile pour comprendre la portée d'une oeuvre comme Scott Pilgrim.


Alors que les années 2000 ont vu éclater une guerre entre super-héros, chacun essayant d'asseoir sa suprématie dans le coeur des fans depuis le succès de Blade (Stephen Norrington, 1998) puis le méga-hit Spider-Man (Sam Raimi, 2002), peu de gens citent Les Indestructibles (Brad Bird, 2004), film d'animation estampillé Pixar, comme le chef-d'oeuvre définitif de cette vague. De même, alors que les adaptations de jeu vidéo se ramassent immanquablement dans l'estime des gamers (à l'exception, peut-être, du Silent Hill de Christophe Gans, en 2006), Scott Pilgrim reste cantonné aux oubliettes.


Il est pourtant LE film qui a su intégrer les mécanismes vidéoludiques à ceux du cinéma de la manière la plus réfléchie et décomplexée ; aux côtés de Speed Racer (Andy & Lana Wachowski, 2008), fabuleux délire kitsch un peu replié sur lui-même. Aux USA, les deux films font un flop retentissant. En France, ce n'est pas plus glorieux. Scott Pilgrim est sorti chez nous fin 2010. Que venait faire cet objet agité dans des lieux où le spectateur/joueur n'est relié à l'écran par aucune manette, aucun moyen de contrôle ? Une question d'autant plus gênante que Scott Pilgrim n'est l'adaptation d'aucun jeu vidéo : c'est celle d'une BD en 6 tomes signée Brian Lee O'Malley.


Le pitch est simple : pour conquérir Ramona Flowers, l'élue de son coeur, Scott Pilgrim devra combattre ses sept ex-maléfiques dans des joutes homériques qui, à l'écran, défient allègrement la notion de réalisme.


Prière de ne pas le dire trop fort mais derrière ce manifeste culturel se cache rien moins qu'une petite date dans l'histoire du langage cinématographique, soit un croisement avant-gardiste où le 7e et le 10e Art peuvent enfin cohabiter sans que l'un ne plie l'autre à son propre langage. Car c'est bien de cela qu'il est question avec Scott Pilgrim : de langage, de communication avec le public visé. Conscient d'ouvrir de nouvelles portes du medium cinéma, Edgar Wright en dessine le schéma grâce à une culture populaire encore neuve.


Déterminé, il tente de dialoguer avec son public sinon grâce à un nouveau langage (il est ici question de cadres, de montage, de dialogues et de gags, comme dans toute comédie mainstream), au moins via une nouvelle grammaire (changement progressif de format au sein du même plan, interventions des sous-titres comme éléments matériels, travail du chef-opérateur soumis aux émotions immédiates du héros, etc). Fantasme de gamer, le long-métrage est aussi un vaste laboratoire dont les dérapages dévoilent une éclatante maîtrise.


Comprenons-nous bien : si l'échec financier de Scott Pilgrim est, d'un point de vue artistique, injuste pour l'auteur de ces lignes, il est en revanche tout à fait compréhensible d'un point de vue socio-culturel. Convoquant une imagerie rétro dont les contemporains ont sans doute passé l'âge de jouer à la GameBoy, Scott Pilgrim la propulse dans un système formel inédit (cf. ce climax à l'arme blanche dont les épées ressemblent volontairement à un amas de pixels). Insaisissable, le film l'est car il forme la rencontre entre deux médiums trop heureux de s'épanouir main dans la main.


Chemin faisant, Wright rend ainsi hommage à la BD dont son film est tiré avec un panache inouï. Mieux, la liberté de ton offerte par ce matériau lui permet des infractions à sa propre désinvolture. Le cinéaste va ainsi jusqu'à puiser dans la sitcom (pour une poignée de scènes aux rires pré-enregistrés et aux décors limités), voire dans les expérimentations de Norman McLaren, le générique d'intro étant un clin d'oeil vibrant aux petits "films sans caméra" du monsieur. Si son nom ne vous dit rien, allez y jeter un oeil, l'héritage est consommé.


Dots, de Norman McLaren
-> https://youtu.be/E3-vsKwQ0Cg


Générique d'intro de Scott Pilgrim
-> https://youtu.be/VGCfhwq1qBE


Ni objet expérimental (le film reste narratif de bout en bout), ni film académique, Scott Pilgrim est une oeuvre rare, euphorisante et virtuose, mais dont les fondations culturelles laisseront à la porte les allergiques au métissage ainsi que beaucoup de personnes nées avant les années 80. D'ailleurs, il aurait sans doute suffi que le film ne soit pas cantonné aux salles lambda, mais se voit diffusé dans les hauts lieux de la culture institutionnelle, pour provoquer des réactions outrées. Souvenez-vous du mini scandale déclenché par l'intrusion de l'expo Murakami entre les murs du château de Versailles


Réactions à l'expo Murakami
-> http://lc.cx/Z3FC


Le mois de la sortie française de Scott Pilgrim, le Cinématographe des frères Lumière soufflait sa 115e bougie. A leur époque, fin XIXème, ils disaient que le cinéma était une invention sans avenir. Peu après, Georges Méliès en fit une porte ouverte sur l'imaginaire, contredisant l'idée que les Lumière se faisaient de leur invention quand ils clamaient (déjà !) que le cinéma est mort.
D'une inventivité hors-normes, le long-métrage d'Edgar Wright emboîte le pas aux travaux du magicien en plongeant tête baissée dans tout un pan de la pop culture de la fin du XXème siècle. Malheureusement pour lui, l'art vidéoludique est loin de toucher toutes les tranches d'âge, contrairement aux tours de magie (la formation initiale de l'ami Méliès). Pour une fois, le terme n'est donc pas galvaudé : Scott Pilgrim est un film générationnel. Sur ce, je m'en vais en reprendre une dose. Allez savoir, d'ici quelques jours, je serai peut-être déjà trop vieux pour ça !


PS : dédicace à Juliet. P, aspirante geekette dont l'enthousiasme débordant envers Scott Pilgrim m'a motivé à prendre le clavier. Girl, this is for you ;)

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le 10 mars 2014

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Fritz_the_Cat

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