Apocalypse Ñow
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le 10 oct. 2015
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On va sans doute reprocher ça à Sicario, lui reprocher de ne pas raconter grand-chose et qu’il est, de fait, pas mal emmerdant, qu’il est vide, jamais original et qu’il ne renouvelle rien, genre le néant. Denis Villeneuve et son scénariste Taylor Sheridan le savent très bien d’ailleurs, et leur film n’entend pas réinventer la poudre, mais proposer une œuvre qui se construirait d’abord par soustractions, par enlèvements. Débarrassé d’affects et de psychologie, de palabres et de manières, Sicario creuse l’os, désintègre la moelle, éradique la matière pour ne laisser que le jus, le jus bouillant de la peur et des viscères, à l’air.
À l’instar de Kate, héroïne sensible mais dure à cuire quand même, petit pion lâché au milieu d’hommes et d’enjeux qui la dépassent, le spectateur avance à l’aveugle, au fur et à mesure de révélations et de croyances saccagées (croisade armée contre un baron de la drogue mexicain se transformant en vendetta personnelle). Le film se déploie ainsi, minimal, chirurgical, par niveaux et par grandes scènes opératiques (dont une virée haute tension à Juárez, l’une des villes les plus dangereuses au monde) presque indépendantes les unes des autres, mais formant un tout, un bloc monumental d’un nihilisme serein (le même chaos à la fin, encore et toujours, témoignant de l’inefficacité des gouvernements face à l’emprise des cartels, impossible à endiguer, plus pratique à canaliser).
Sicario ne racontera rien d’autre et s’en tiendra à cette ligne claire (mais tordue), traque obsessionnelle entremêlant barbouzes et alliances contre nature où, sous couvert d’une guerre déclarée contre les narcotrafiquants, chaque personnage se confronte à sa propre morale et ses propres limites, entre éclats du jour et ténèbres pures, relents vengeurs et raisons d’État. Brutal, oppressant (la musique de Jóhann Jóhannsson, sourde et impulsive, participe à ce sentiment de cauchemar absolu), en mode low tempo (il y a finalement peu d’action tout au long du film), Sicario confirme la redoutable maîtrise visuelle de Villeneuve (la scène d’introduction, celle des soldats absorbés dans l’obscurité…) soutenue par la photographie aride de Roger Deakins et une interprétation béton (Benicio Del Toro y brille, sensas en mercenaire de l’ombre). Une œuvre racée, barbouillée de poussière et de sang, d’un classicisme noir charbon.
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