Silence (2017) / 161 min.
Réalisateur : Martin Scorsese
Acteurs principaux : Andrew Garfield ; Liam Neeson ; Adam Driver ;
Mots-clefs : USA ; Religion ; Japon


Le pitch :
XVIIème siècle, deux prêtres jésuites se rendent au Japon pour retrouver leur mentor, le père Ferreira, disparu alors qu’il tentait de répandre les enseignements du catholicisme. Au terme d’un dangereux voyage, ils découvrent un pays où le christianisme est décrété illégal et ses fidèles persécutés. Ils devront mener dans la clandestinité cette quête périlleuse qui confrontera leur foi aux pires épreuves.


Premières impressions :

Il est extrêmement rare que je prenne le temps de coucher mes impressions sur un film qui n’est pas asiatique pour une raison très simple : je souhaite avant toute chose mettre en lumière un cinéma assez peu connu du grand public français, à commencer par mes amis, tout en essayant de présenter succinctement des points de sociétés, de cultures, ou d’histoires des pays qui me fascinent. Si je deviens doucement cinéphile, je suis avant tout un psychologue social interculturel qui se passionne pour l’Asie et ses habitants. Cependant, le film de Martin Scorsese se concentre sur un moment assez méconnu de l’histoire du Japon, celui de la persécution puis des massacres des chrétiens au début du XVII éme siècle et il me semblait qu’il y avait là matière à critiquer le film, mais aussi à refaire un point sur un de ces rares moments où l’histoire japonaise rejoint l’histoire européenne.


Commençons donc par un petit point d’histoire*. C’est en 1543 que les premiers européens, des marchands portugais, débarquèrent sur les côtes japonaises, et c’est six ans plus tard, en 1549 que déboula Saint François-Xavier, un missionnaire jésuite qui avait manifestement envie d’aller emmerder les populations à l’autre bout du globe avec son bouquin sacré, son dieu et son fan club. Je ne sais pas si le gars avait ramené bonne quantité de sang du christ, mais son entreprise fonctionna assez bien à ses débuts et en quelques années, une sacrée communauté (notez l’humour) se constitua du côté de Nagasaki, un des très rares ports ouvert aux étranger grâce aux efforts du Daïmyo (seigneur) du coin, lui aussi converti à la galette des rois et aux œufs de pâques.


A l’époque le gouvernement central japonais est tenu par les Toyotomi puis par les Tokugawa, deux clans qui ont réussi à unifier le pays après de longues périodes de guerres. Le shogun Hideyoshi Toyotomi, plutôt ouvert à la base, commença à s’inquiéter un petit peu du nombre croissant de fidèles de Jésus dans le pays (environ 150 000 chrétiens en 1580, et près de 300 000 au début du XVII éme) car le gars n’était pas totalement coupé du monde et avait entendu parler des accents colonialistes européens. En plus ces cons de missionnaires avaient une petite tendance à se foutre sur la gueule entre religieux des différentes sectes chrétiennes et il n’était pas question pour le shogun que le pays reparte en cacahouète à cause d’une fraction de la population suivant les ordres d’un dirigeant étranger, le Pape. Bref, en 1587, Hidoyoshi décrète l’expulsion des missionnaires chrétiens, puis comme les bougres insistent un peu, son successeur, Ieyasu Tokugawa, pacifie tout ce petit monde à grand coup de brasero, de crucifixions et autres joyeusetés façon Léodagan. Le dernier chapitre du massacre se termina en 1638, quand le gouvernement central écrabouilla jusqu’au dernier les 37 000 révoltés qui s’étaient réfugiés dans une vieille forteresse (à noter que la flotte hollandaise protestante appuya de ses canons l’armée du Shogun). Derrière ça, les Tokugawa décidèrent de fermer le pays aux étrangers pour deux siècles.


Il est quand même important de préciser que le Japon a connu une longue période de guerre civile au XVI éme siècle et que le pays se constituait seulement en une entité vaguement gouvernable. Le régime suivait une hiérarchie féodale avec un gouvernement central, dont dépendaient plus ou moins des seigneurs locaux à la tête de clans, qui eux-mêmes avaient des vassaux. Or les seigneurs de l’île de Kyushu (l’île du sud) avaient tous plus ou moins commencé à se convertir et une telle communauté risquait fort de mettre à mal l’unification tout juste réalisée, d’où la volonté de couper le mal à la racine en renvoyant les missionnaires chez eux.


De tout ce contexte, Silence n’en parle absolument pas. En effet, Martin Scorsese décide de concentrer son film uniquement sur la vie de deux missionnaires portugais venus là pour retrouver la trace de leur père spirituel qui aurait, comble de l’horreur, renié Dieu et ses potes. Ils embarquent donc pour Macao la civilisée, puis font cap vers le Japon sauvage grâce à un guide local, ancien converti, mais qui a publiquement piétiné une icône chrétienne pour ne pas se faire découper en rondelles par les copains de Ieyasu. Le type parle parfaitement anglais (techniquement les gars devraient parler portugais m’enfin c’est un détail) et emmène les padres dans un village de bouseux où tout le monde, vieux comme femmes, parlent vachement bien les langues européennes. D’ailleurs durant tout le film nos deux lurons ne vont rencontrer que des japonais qui parlent leur langue, même quand le scénariste fait l’effort d’inclure un traducteur dont le rôle se limite du coup à filer deux ou trois mots de vocabulaires tendus mais pas essentiels.


Et c’est là que Scorsese m’a complètement perdu. Je n’ai jamais, jamais, jamais cru un seul instant à l’histoire qui m’était racontée. D’une part, parce que le rythme est extrêmement lent et que la réalisation est chiante à mourir et, d’autre part, parce que je me demande sérieusement si Scorsese a déjà foutu les pieds au Japon. Ce film pue le loco-centrisme à des kilomètres et jamais les prêtres ne semblent chercher à comprendre la population et la culture locale. A aucun moment le film ne se penche réellement sur les différences culturelles, ni même sur les difficultés de compréhension, comme si la religion catholique avait ôté tout réflexe ou comportement culturel japonais aux populations de convertis. Malgré les massacres et les traumatismes, les japonais chrétiens acceptent directement les prêtres à la première rencontre, sans poser la moindre question.


En gros le film présente deux types de japonais : les bouseux convertis au christianisme qui sont « comme nous » et qui passent un sale quart d’heure, et les japonais de l’état central qui sont des méchants avec des grosses voix de méchants (Scorsese aurait-il une ascendance coréenne ?). Ainsi, l’opposition ne se fait qu’entre les méchant japonais du régime qui butent du converti avec des techniques plus inventives les unes que les autres et les prêtres qui se demandent pourquoi Dieu reste silencieux quand ses ouailles se font massacrer (mais sans que ça ne fasse vraiment fléchir leur foi).


L’autre raison pour laquelle je n’ai jamais réussi à entrer dans le film est la recrudescence de voix off explicatives. Tout le film est parsemé de monologues désespérants qui nous expliquent que quand même, Rodriguez, il doute un peu quand il voit des jeunes femmes se faire cramer parce qu’il refuse de renier son Dieu qui reste drôlement silencieux. Quand ce ne sont pas les voix-off, ce sont les dialogues qui passent leur temps à décrire les états d’âmes ou le passé des personnages, comme s’il fallait absolument tout verbaliser pour être certain que le spectateur idiot comprenne bien. Résultat, malgré un rythme lent, le film ne devient jamais contemplatif, je dirais même que cet excès d’explication nuit carrément à l’ambiance lourde et pesante et qu’on ne ressent jamais bien la solitude que devraient ressentir ces prêtres qui sont directement confrontés à leur foi !


Enfin, il y a la performance des acteurs, bien déplorable et rarement dans le ton pendant la première heure et demi (ça s’arrange ensuite) et surtout, surtout, la réalisation sans queue ni tête de Scorsese. On peut me dire que ce type est un génie, mais sans être un expert de la technique, je dois dire que ses choix de cut, de rythme, de longueur de plans, sont incompréhensibles. En effet, même si certaines scènes pourraient être poignantes, la parlote permanente et les changements de plans intempestifs m’ont systématiquement foutu l’émotion par terre. Le type n’est pas foutu de faire des plans de plus de dix secondes. S’il conserve une caméra fixe sur un plan, c’est pour mieux la remuer dans tous les sens sur le second ! Le cinéma a une grammaire et même sans la connaître j’ai senti qu’on ne me racontait pas une histoire avec des codes signifiants, ni même spécialement esthétiques. En fait, j’ai souvent eu le sentiment que les angles de caméra ou que les jeux de brouillard étaient là pour servir de cache misère à un décor et à un cadre qui ne ressemblent pas au Japon. D’ailleurs le son est très bizarre, comme si la plupart des dialogues avaient été réenregistrés, sans compter les chants de grillons qui n’ont pas le chant typique des grillons japonais mais plutôt celui des insectes du sud de la France. Je sais que le film a été tourné à Taïwan mais ce n’est pas une raison pour ne pas faire un effort. Oui c’est un détail les grillons, mais c’est un son spécifique qui participe immédiatement à l’immersion, d’autant que le film ne présente aucune musique (et c’est une bonne chose).


Pour conclure, Silence a été pour moi un film long et ennuyeux pour lequel je n’ai jamais réellement compris où le réalisateur voulait en venir. Quand on sait que Scorsese a rêvé de ce projet pendant des dizaines d’années, on ne peut qu’être déçu de la qualité cinématographique du film. Peut-être que le film ne parle qu’aux chrétiens américains, je ne sais pas... Néanmoins, si vous êtes curieux de cette période, sachez que Silence est adapté d’un roman éponyme de Shūsaku Endō qui a déjà fait l’objet d’une adaptation cinématographique japonaise en 1971 par Masahiro Shinoda. Je n’ai ni lu le roman, ni vu le film original et je ne saurai pas en parler. Par ailleurs, je vous recommande la série « Yae no Sakura », une série japonaise de Mutsumi Yamamoto qui retrace le parcours d’une jeune femme issue d’une famille noble et qui traite entre autre des guerres civiles japonaises, mais également de l’implantation de la chrétienté au Japon. Enfin, pour les amateurs d’animation, l’excellent Samurai Champloo de Shinichiro Watanabe (Cowboy bebop, Terror in Resonance) parle lui aussi en partie de l’histoire malheureuse des chrétiens japonais. Comme d’habitude, si vous avez des avis divergents, n ‘hésitez pas à en débattre en commentaires.


*Mes références historiques proviennent de « Histoire du Japon et des japonais » (1973) de Edwin O. Reischauer publié chez Points.

GwenaelGermain
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le 20 juin 2017

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