Comme la plupart de ses collègues comédiens, Charlton Heston a mal vécu l'arrivée du Nouvel Hollywood; lui qu'on connaissait pour le grandiose Ben Hur, qu'on vénérait pour ses Dix commandements salvateurs, qui nous surprenait dans La Planète des Singes a, petit à petit, sombré dans des productions sans grand budget, à multiplier les séries b anodines tout en perdant son jeu d'acteur charismatique, suffisamment las pour fournir le minimum syndical.
Les années 70 signèrent donc le déclin de sa carrière, et si la décennie manquera de lui offrir des rôles dignes de sa carrure (et de sa carrière), il a suffit de Richard Fleischer pour offrir un ultime sursaut au talent d'Heston, lui permettant même d'apporter, ironiquement, sa pierre au développement du Nouvel Hollywood : Soleil vert, unanimement considéré comme un chef-d'oeuvre dystopique intemporel, sorte de référence ultime qu'on ne cesse de citer depuis sa sortie, et qui a donné naissance à nombre d'autres scénarios d'artistes de divers horizons (les Wachowsky s'en sont notamment beaucoup inspirés).
Pour devenir un tel phénomène, il fallait une imagination fertile, et si l'on pouvait s'attendre, à l'époque, à une réussite totale, nul doute qu'il était dur de prévoir le degrés d'inventivité du film. Visionnaire en bien des points, il marque par la justesse de son futur dystopique et la date proche de son arrivée (2020); entre surconsommation maladive et surpopulation consommatrice, c'est qu'on verrait plutôt le scénario se profiler au détour des années 2050, avec cependant plus de violence et de conflits inter-ethniques.
Parce qu'au final, Soleil vert dépeint avec talent ce qu'il était l'un des seuls à prévoir du temps où la science-fiction, n'ayant pas encore connu l'aspect vieillissant d'un Star Wars, se contentait d'accumuler les inventions technologiques et les messages de paix où d'hostilité envers l'étranger (on pensera au Jour où la Terre s'arrêta et La Guerre des Mondes comme films de référence) : si l'humanité continue son expansion terrible, la Terre, loin d'avoir des ressources infinies, arrivera bientôt au point de rupture de ses stocks de nourriture, d'eau et de matières premières.
Animaux disparus, paysages anéantis, amas d'humains proches du cadavre qui s'entassent dans des villes recouvertes de pierre et de béton, et dans lesquelles on ne saurait trouver le moindre arbre pour se reposer à l'ombre composent cette société qui ne se nourrit plus que d'une nourriture unique, le Soja Vert (titre du film en VO). Seuls les riches ont le privilège de goûter à des saveurs d'antan (la scène de dégustation menée par Heston et Edward G. Robinson est d'une justesse phénoménale), et se détendent dans leur bulle dorée aux aspects, pour le coup, futuristes et clinquant.
On verrait presque la SF du nouvel Hollywood rencontrer celle de l'ancien; tandis que les décors sableux et crasseux pourraient faire penser à Mad Max ou Star Wars, les intérieurs riches, loin des favelas dans lesquelles crèchent des dizaines de corps dénutris, font penser aux repaires secrets des James Bond, voir aux intérieurs colorés d'un Star Trek. Visionnaire, Soleil Vert sert donc de passerelle entre un cinéma classique vieillissant et ces films de nouvelle génération qui modifient la vision des corps, des moeurs et instaurent une violence crue bien que justifiée, entre justesse de ton et profondeur du scénario (magnifiquement représenté par cette scène hallucinante de suicide organisé).
Au niveau de sa mise en scène, Fleischer livre un travail globalement similaire à ce qu'on pouvait voir dans les années 60 : c'est très posé, académique, trop plat quand il n'y a pas des sursauts de modernité (dans sa conclusion notamment, d'une noirceur nouvelle). Les décors et costumes sont kitschs, flashy, et donnent un coup de vieux à la tentative artistique.
Il faudra surtout s'intéresser à son écriture pour y voir les traces de ce qu'on fera ensuite : à chute, son scénario fascine par la profondeur des thèmes qu'il évoque; entre conflit social et morale écologiste novatrice, Soleil Vert en impose par la maturité de son traitement et l'absence de manichéisme de ses personnages. Pauvres comme ils sont, chacun de nos protagonistes tentera de faire son trou au milieu de ce bordel constant, quitte à devenir un flic ripoux ne voyant que son intérêt, et usant de son autorité pour jouir des plaisirs de la caste dominante.
Image de la femme objet en laquelle on n'apercevra qu'un soupçon d'autonomie (elle dépend presque entièrement d'Heston), figure masculine charismatique et célèbre : ce n'est pas pour rien si l'on a choisi l'ami Charlton pour interpréter ce policier qui ne connait que la version synthétique de la Terre; lui qui incarnait, pour beaucoup, la virilité des péplums Hollywoodiens (donc la superficialité des codes esthétiques de l'époque), le voir à contre emploi dans un rôle profondément ambigu marque cette volonté de faire du neuf avec du vieux, de briser l'image de perfection de la SF pour la dévoiler en une perspective d'avenir souillé, menaçant, et de prendre en référence une ancienne figure cinématographique pour amener à son spectateur le changement progressiste du cinéma des années 70.
On s'étonnera aussi de la violence de son twist final, traumatisme moral démontrant toute la noirceur d'une intrigue qu'on prenait au final à la légère; la faute à sa forme classique et vieillissante, trompe l'oeil génial démontrant toute la maestria de ce réalisateur très talentueux, et ses dialogues qui manquent du talent de sa réflexion. C'est à se demander comment l'artiste est tombé suffisamment bas dans l'échelle des Yes Man pour nous pondre les nanardesques Kalidor et Conan : Le Destructeur.
La première étape de l'évolution des films de science-fiction, mythique dystopie qui servira encore de modèle 50 ans plus tard. Un incontournable.