Analyse de la version Cinéma


Exit Peter Parker, l'ado timide et mal dans sa peau et place à un jeune afro-américain bouillonnant au sang hispanique. Miles Moralès enfile désormais le costume de l'arachnide dans une comédie super héroique méta ouvrant de nouvelles perspectives à la Maison des idées ainsi qu'à son pendant cinématographique. Problème de taille, la sublime enveloppe numérique bariolée de ce long métrage d'animation ne dissimulera jamais l'énorme contresens que cette nouvelle mouture tente de nous faire avaler. Révélations qui ne font pas (toujours) plaisir où quand Marvel se prend les pattes dans la toile.


Histoire de mythologie


À ceux qui pointeraient du doigt Kevin Feige et sa bande d'exécutifs opportunistes à propos du prétendu progressisme malvenu dans la dernière phase du Marvel Cinematic Universe - en cause la réunification des super héroïnes face à Thanos ou l'attribution d'un long métrage dédié à Black Panther- devraient réviser sérieusement l'histoire de la firme depuis sa genèse. Les succès instantanés des créations de Jack Kirby, Steve Ditko ou Stan Lee au début des années soixantes donnent à Marvel la capacité d'étendre un univers bien au-delà de son périmètre social en donnant la parole mieux que quiconque à ceux qui ont eux aussi participé à la construction de cette Amérique moderne constituée d'immigrés autres qu'européens. En l'espace de quarante ans et globalement jusqu'aux débuts des années 2000, les vertus du comic book made in Stan Lee résideront dans la métaphore du "méta-homme" afin d'expliquer la condition difficile de l'être humain en société. La bande dessinée moderne comme vecteur de différence permettant l'identification immédiate d'une toute nouvelle génération ? L'idée parait insensée et, pourtant, en pleine crise et scandales politiques en tout genre, le pays de Johnson et Nixon va se passionner pour ce médium de papier parlant en sous-texte d'homosexualité par la voix(e) du mutant. Si la peur de la bombe nucléaire engendrera quelques fameux personnages dont Hulk et ses rayons Gamma ou Spider-man et son isotope radioactif, c'est bien au coeur de la diversité des ethnies et de la détresse sociale que Marvel va consolider ses bases. Dans les rangs des personnages les plus nobles, on pourra compter Warpath et Thunderbird comme représentation du peuple Amérindien au sein même des X-Men ou de la X-Force, Storm la princesse Africaine ou encore Sam Wilson alias The Falcon animateur d'un centre pour jeunes en difficultés situé en plein Bronx. Cerise sur le gâteau, le prolongement culturel de la fameuse Blaxploitation par le truchement de Luke (Power Man) Cage, icône afro intégralement dupliquée au mouvement cinématographique ou Shang-Shi reproduction opportuniste de la Shaw Brothers. Marvel aura aussi illustré un Thor moderne dans la classe ouvrière ainsi que des mutants parias vivant dans les égouts New Yorkais loin du monde de la surface. Très éloignée des aspirations mythologiques de DC, La Maison des idées crée du lien avec son lecteur et une proximité de plus en plus accrue.


Le prolongement nécessaire


Dans cette perspective et suivant le modèle du studio Disney reproduisant à l'identique à travers le MCU la démarche politique d'intégration, Sony livre à son tour sa version d'un Spider-man plus en adéquation avec son époque. Son teaser balancé en épilogue de l'atroce Venom avec Tom Hardy laisse entrevoir un New York nocturne et hivernal centré sur Miles Moralès, une version aussi jeune et immature que celle de Peter Parker à ses débuts. L'année suivante, Spider-man : New Generation sort sur les écrans avec succès. Ce film de Peter Ramsey n'est en rien un sequel mais bien un loner permettant de travailler deux angles essentiels au renouvellement de la mythologie : Le premier est de construire un background neuf par l'entremise d'un jeune garçon prépubère avec un environnement social encore inédit dans la saga de l'homme araignée et le second d'utiliser "le multivers", ressort scénaristique (ou tarte à la crème ?) appuyant définitivement le contexte science fictionnel à l'ensemble. Sur un plan strictement artistique et en dehors des canons délivrés par Sam Raimi à l'occasion d'une trilogie insurpassable, jamais les perspectives de la Big apple n'ont eu une aussi forte connection avec le personnage principale. La silhouette de Moralès découpe le cadre retranscrivant avec précision l'athlète et les contraintes de l'apesanteur. Le coeur du film et l'une de ses finalités est d'avoir compris la symbiose parfaite entre les cases respectées et parfois déstructurées d'un comic book et le plan d'un film live. En d'autres termes, l'alliance du pinceau combiné aux outils cinématographiques. Une sidération qui ne s'obtient qu'en respectant les proportions et le galbe de ses personnages mais aussi à force de travail sur la colorimétrie. Spider-Man : New Generation s'affiche désormais comme la peinture définitive de son icône et la synthèse parfaite du corps dans son environnement urbain. Cependant la maîtrise de la spatialité est-elle proportionnellement aussi aboutie que son mythe arachnéen ?


Spider-Man : Old Generation


New Generation n'a pas l'envie ni le désir de raconter une nouvelle histoire de Peter Parker mais au contraire de jouer avec sa légende et de flirter avec son fétichisme. Puisant à loisir dans l'effet comique du "multivers", les nouvelles versions de l'arachnide sont autant d'avatars moins connus qui empruntent peu ou prou des morceaux de l'original. La mort du Spider-man blond est une version assez proche du Batman de DC avec Tante May dans le rôle Alfred. Les sidekicks comme le Spider-man noir, Peni Parker ou Spider-cochon ont la fonction de troubler la fibre dramatique afin que l'oeuvre reste la plus légère possible. L'élément central et moteur de la narration n'est autre que Miles Moralès, un gamin New Yorkais d'à peine treize ans. La découverte de ses pouvoirs et la perte de son Oncle Aaron au cours d'un affrontement seront les révélateurs de sa soudaine tansformation morale et physique. Seulement dans sa quête de spectacle sons et lumières pour tous, les auteurs de ce long métrage auront oublié ce qui fait l'essence même de l'homme araignée : le sens du sacrifice. Déraciner Spider-Man de son fief situé à l'origine dans le Queens et lui donner une famille aimante et unie a tout du nouveau départ. Moralès est donc comme tous les gosses de son âge certes perturbé par sa puberté mais jamais déstabilisé dans sa vie d'adolescent. Pourtant toute la substance qui fait du jeune Peter Parker original un héros hors-norme à l'identification immédiate réside dans sa timidité et la tristesse d'être un gamin doué mais quelconque. Rapidement orphelin et responsable de la mort de son Oncle Ben, l'étudiant vit avec ce trauma durant de longues années qui le ramènent régulièrement à sa condition de martyre. Sa représentation via son animal Totem d'araignée est à l'image des choix imposés par Stan Lee et Steve Ditko, un personnage maudit et tragique dont la fonction principale est de s'acquitter de sa dette envers son Oncle. Spider-Man est un héros de gauche fracturé sans le moindre sou en poche accusant une vie en dents de scie entre déconvenues amoureuses et avenir professionnel incertain. Tout cela sans compter l'injuste retour des choses puisque même à travers son alter-ego, il ne sera jamais reconnu à sa juste valeur. À partir d'un constat aussi radical, il est difficile d'accepter Moralès comme un successeur potentiel. L'image même de sa famille conservatrice entre un père responsable des forces de l'ordre et une mère infirmière donne une certaine idée du voile protecteur recouvrant le futur rejeton super héros. Et si l'on y ajoute l'école privée où Miles amorce ses études, le personnage devient un ado sans relief perdu dans la masse qui ne s'émancipera jamais de sa condition de "gros gâté". New Generation ne mentira jamais à ce sujet en opérant un virage à 180 degrés sur la nature même et la fonction du héros sans l'apport réflexif qui faisait des Indestructibles de Brad Bird un monument de Pulp futé. L'homme araignée n'est plus un freak mais un jeune homme cool qui check tant qu'il peut un casque audio gavé de soul sur les oreilles. Et ce n'est pas la vaine tentative de raccrocher les wagons de la mythologie par le biais du décès de l'oncle qui changera la donne.


Le prétexte d'un film d'animation dans l'air du temps aura eu raison de l'épaisseur psychologique de sa figure de proue. Spider-man a bien un successeur mais au prix d'un travestissement des valeurs. Un contresens qui laisse le spectateur songeur quant à l'incompréhension de la place de son héros dans la culture populaire.


critique de la version Alternative
https://www.senscritique.com/film/Spider_Man_New_Generation_Version_Alternative/critique/233133883

Star-Lord09
5
Écrit par

Créée

le 3 nov. 2020

Critique lue 1.2K fois

17 j'aime

23 commentaires

Critique lue 1.2K fois

17
23

D'autres avis sur Spider-Man : New Generation

Spider-Man : New Generation
Velvetman
8

Spiderman Connection

La douce litanie qui consiste à dire que les films de super-héros se ressemblent tous, ou qu’ils oublient leurs fondamentaux au profit d’une spectacularité inféconde et numérisée, vient d’être mise à...

le 14 déc. 2018

131 j'aime

8

Spider-Man : New Generation
Sergent_Pepper
8

Comic strip tease

A posteriori, ça parait pourtant évident : alors qu’on nous inonde d’adaptations de comics depuis plus d’une décennie, la majorité des films ont toujours pris soin de gommer la spécificité de l’œuvre...

le 1 janv. 2019

113 j'aime

8

Spider-Man : New Generation
Larrire_Cuisine
5

[Ciné Club Sandwich] On aurait bien aimé en dire du mal pour se démarquer. Mais non c'est super bien

DISCLAIMER : La note de 5 est une note par défaut, une note "neutre". Nous mettons la même note à tous les films car nous ne sommes pas forcément favorable à un système de notation. Seule la critique...

le 2 janv. 2019

71 j'aime

9

Du même critique

Midnight Special
Star-Lord09
7

ALTON EST LE FILS DE KRYPTON

C'est un critique malheureux qui prend la plume. Malheureux parce que l'orgasme filmique amorcé ne s'est pas produit. Malheureux parce que la promesse de caresser une époque révolue (celle des prods...

le 16 mars 2016

147 j'aime

87

Knight of Cups
Star-Lord09
8

DES DIEUX PARMI LES HOMMES.

Du plus haut des cieux avec "Tree of life" jusqu'au plus profond de l'âme humaine avec "To the wonder", voici venir l'entre-deux "Knight of cups" oeuvre du démiurge Malick. Si la palme d'or de 2011...

le 13 oct. 2015

118 j'aime

49

Youth
Star-Lord09
7

UN COUP D'OEIL DANS LE RETRO.

Youth est un boomerang qui, mal lancé, reviendrait dans la truffe du critique malin d'avoir découvert toutes les thématiques évidentes du dernier Sorrentino. A savoir la sagesse, le recul et surtout...

le 12 sept. 2015

101 j'aime

26