Cher spectateur, laisse moi te conter l'histoire d'un jeune homme qui pensait pouvoir conquérir le monde du cinéma. Armé d'un Sixième Sens affuté, la réputation de cet intrépide cinéaste a explosé dès le succès retentissant de son premier film : on pensait alors sa destinée Incassable. C'était sans compter sur les déceptions intempestives de ses films suivant ses deux premiers succès, qui laissaient présager les Signes de la fin d'un Phénomène. Le jeune Shyamalan repartait à son Village sur une note salée, plein d'amertume et sans le sou, si bien qu'on l'aurait bien nommé à la Disney, façon la Reines des neiges : La jeune fille de l'eau. Loin du cinéma, Glassé d'effroi face à l'accueil réservé à After Earth, il s'était jusqu'alors volatilisé, apportant valser avec lui son talent, jusqu'au gré du vent, comme un décevant dernier maître de l'air.
Et puis, Split a pointé le bout de son nez. Au départ, on l'observait avec méfiance. C'était de juste guerre : à s'être trop enflammés pour Phénomènes ou After Earth, nous nous sommes consumés de déception. Mais petit à petit, au fil du teasing, des trailers et des photos de tournage, le film semblait être fait pour nous rassurer sur le futur de la carrière de son auteur/producteur/réalisateur.
Split était destiné à redorer son blason, à nous redonner confiance envers ce cinéaste au ton particulier, à l'univers unique. La mission est réussie, le contrat rempli avec talent. Propre, net et sans bavure, le film scinde une profonde scission dans la carrière de Shyamalan, propulsant son art aux origines de son succès. Oui, Split tient largement plus d'un Incassable que d'un After Earth, d'un Sixième Sens que d'un Dernier Maître de l'Air, affirmant la profonde césure séparant les bons films des ratages complets. N'est-ce d'ailleurs pas la signification même de son titre, que de diviser, de séparer?
Porté par une direction d'acteurs impeccable, le film peut compter sur des acteurs tous très talentueux. Les seconds rôles, de Jessica Sula à Betty Buckley et Haley Lu Richardson, enrichissent la performance des deux acteurs principaux de leur présence et leur personnalité. Trois femmes au talent certain, qui s'investissent et offrent une énergie vitale et puissante pour les deux filles kidnappées (Sula et Richardson), tandis que Buckley (la psychiatre) tempère le tout par son charisme naturel et la classe de son interprétation. Une classe anglaise qui en jette, une classe toute en retenue.
L'inverse même de McAvoy, qui brille par la richesse de son jeu : il passe d'une personnalité à l'autre en une fraction de seconde, se concentre sur le changement d'expression faciale plutôt que de porter maints et maints costumes. Il suffit d'observer ses yeux pour savoir qui il joue, quelle personnalité l'anime : tout chez lui est intuitif, instinctif; c'est comme si McAvoy était Split, comme s'il était ces 23 personnalités distinctes et facilement reconnaissables (pour celles montrées).
Fascinant en Dennis, terrifiant en Bête, il parvient à nous présenter un panel de jeu riche et varié, jamais trop cliché, jamais trop fin non plus (malheureusement). C'est du lourd, du puissant, pas toujours du très raffiné, mais c'est constamment habile et saisissant.
Contre lui, une toute jeune Anya Taylor-Joy, la puissante leadeuse du groupe des trois kidnappées. Elle est la femme forte du film, la personnalité dominante des victimes, très belle femme que l'on penserait tirée d'un Cameron ou d'un Scott. Elle tournait là son premier film à grand budget, et s'est directement débauché un rôle sur-mesure. Impressionnante, elle brille du début à la fin par son charisme et son regard. Belle, violente, intelligente et pleine de ressources, elle incarne la femme forte typique des films américains à grand budget.
Nul doute que Shyamalan sait filmer ses acteurs, mettre en avant leur prestation. A mis chemin entre la précision d'un Fincher et la noirceur malsaine d'un Tarantino, la mise en scène de Split sait tenir son spectateur en haleine pendant sa durée très correcte (2 heures, ce qu'il fallait au film pour présenter et développer son univers), ne tombant jamais dans la contemplation prétentieuse d'un Incassable.
Seulement, le film n'est pas parfait. C'est son écriture qui viendra gâcher le plaisir que l'on pourra ressentir au visionnage, alignant des problèmes de rythme en début de film (au niveau de l'enchevêtrement des scènes, qui s'enchaînent soit trop vite soit trop lentement) et des soucis de cohérence en conclusion de l'intrigue, lorsque le combat final se déclenchera.
Laissant tomber son ton réaliste, le film plongera tête la première dans un délire tout en puissance propice au spectaculaire pur et dur, abandonnant ce qui faisait l'intérêt de ses deux premières parties : l'identification aux personnages qu'apportait le traitement réaliste des victimes et de Kevin, qui même s'il était voué à devenir surhumain, gardait un côté humain en lui. Il pouvait être touchant, attachant, faible. Dès lors que viendra la fin, tout le travail mis en oeuvre pour le rendre profond se sera mué en un résultat totalement différent. On adhère, on n'adhère pas : le choix vous revient de droit.
Split marque donc le retour en force de Shyamalan au cinéma, tant par sa mise en scène que l'interprétation marquante de ses acteurs. Quelques petites failles pointeront le bout de leur nez, à condition qu'on les cherche vraiment. Rien de bien dérangeant, rien de bien perturbant: c'est objectivement un excellent film, qui marque son spectateur. Du très bon travail.