Tenet est comparable à une œuvre picturale contemporaine : parfois grandiose et fascinante, très souvent incomprise, sûrement à cause de son caractère peu commun. Avouons-le : nous n'avons jamais vu quelque chose de semblable à cet objet filmique ; peut-être est-ce de cette révolution que vient ce flot d'incompréhensions et de critiques mitigées qui en découlent. Tenet est certes une œuvre complexe, parfois déconcertante mais pas pour le moins inintéressante.
Premières choses qui m'ont interpellées, c'est l'originalité de la construction du film - son intrigue et son concept compris bien évidemment - et la continuité des thématiques abordées par le réalisateur au fil de sa filmographie. En effet, le long-métrage est construit (plus ou moins) comme un palindrome : les personnages vont en avant pour au final revenir en arrière (d'un point de vue temporel) afin d'éviter la fin du monde, tout cela en créant un «étau temporel» dont les personnages sont prisonniers. Être prisonnier de son destin, n'est-ce pas une thématique récurrente des films de son réalisateur ? Rappelez-vous le destin de Cooper dans Interstellar, destiné (inconsciemment au début du film) à trouver une solution à travers l'espace pour sauver le monde, et communiquer la-dite solution en morse grâce à la cinquième dimension et la distorsion du temps à la fin du film. Nous pouvons également citer le Batman de la trilogie, destiné à sauver Gotham City ; ou encore la fatalité amenée par le montage inversé de Memento. Cette construction et cette thématique ne sont pas un hasard dans le cinéma de Nolan : la thématique de la destinée est une obsession récurrente qui obsède par ailleurs nombre de personnes autour du globe. Comme le disent certains : «c'était écrit».
Nombre de théories, très intéressantes par ailleurs, ont émergé suite à l'incompréhension de certains spectateurs. Cet avis n'a pour but d'en faire état car certains sites en parlent beaucoup mieux, mais une d'entre elles a retenu tout particulièrement mon attention. C'est sans aucun doute celle qui explique au mieux la relation entre les personnages (décriés à travers les critiques, j'y reviendrais plus bas) :
Max, un diminutif de Maximilien, le fils de Katherine, serait en réalité Neil (interprété avec classe par Robert Pattinson), envoyé par le Protagoniste (charmant et imposant John David Washington) depuis le futur pour l'aider à accomplir ses tâches. Cela prolonge encore la thématique de la fatalité : à l'annonce de la mort de Neil par lui-même, on apprend que le Protagoniste du «présent» (celui que l'on suit dans l'intrigue) est destiné à devenir le Protagoniste du «futur», à fonder l'organisation «Tenet» et à envoyer Neil dans le passé l'aider. La boucle est (sera?) bouclée.
Étant donné l'âge de Max et celui de Neil dans le film (une vingtaine d'années devant les séparer), nous pouvons nous imaginer nombre d'aventures qui feront peut-être de Tenet une trilogie, qui sait? Nous pouvons également nous questionner quant au sauvetage du Protagoniste la toute première fois à l'opéra, étant donné que son amitié avec Neil n'existait pas (et tout ce qui s'en suit). Comment toute l'histoire se crée-t-elle alors ? Le film justifie ça avec le paradoxe du grand-père - certes un peu facilement - mais étant donné qu'il s'agit du paradoxe le plus inexplicable de l'histoire de l'univers ça fonctionne pourtant très bien (paradoxe également utilisé dans «Dark»).
Comme évoqué ci-dessus, le film n'est pas parfait. En cours de scénario, notre professeure nous avait dit qu'une information devait être répétée sept fois afin que le spectateur saisisse réellement celle-ci. Ces répétitions doivent incontestablement ne pas se faire remarquer et le scénario doit redoubler d'efforts pour les dissimuler. Cependant, le problème majeur de Tenet, c'est qu'il ne répète pas assez ses informations, perdant ainsi nombre de ses spectateurs. Ce n'est pas forcément un problème si nous nous laissons porter par l'expérience, «ressentir le film» ; néanmoins, c'en est un pour la compréhension de tous les détails du long-métrage.
Sur le côté technique, le long-métrage avoisine la perfection, au sens le plus stricte du terme. Tenet est effectivement un bijou de mise en scène et d'une audace impressionnante, préférant les SFX aux VFX. Il est rare aujourd'hui qu'un blockbuster use autant des effets spéciaux mécaniques avec des explosions et des cascades réelles plutôt que de truquer le tout en post-production avec des effets visuels. Ces effets mécaniques, effectués directement sur le tournage, donnent directement plus de matière au directeur de la photographie attitré du réalisateur, Hoyte van Hoytema, qui nous offre une fois de plus des images incroyables, dans la droite lignée de son travail sur Dunkerque.
Enfin, cet avis ne pouvait se terminer en laissant un petit mot sur la bande originale - une bande originale qui a rarement autant collé au style d'un film. Je suis fan à la base des basses et des sonorités graves, autant vous dire que j'ai été servi. Fort de son Oscar pour la bande originale mi-originale mi-formelle de Black Panther, j'étais plutôt craintif pour cette première collaboration, même si Nolan sait toujours tirer le meilleur de ses compositeurs. Et c'est encore une fois le cas ici. La musique donne une dimension vertigineuse au long-métrage à chaque instant, c'est brutal et d'une originalité monumentale (les sirènes inversées de Trucks in place m'ont retournées les oreilles), en somme cette bande originale du suédois Ludwig Göransson est une immense réussite.
Pour conclure, Tenet est ahurissant de beauté, addictif, vibrant et d'une ambition que nous ne pouvons nous empêcher de saluer. Ce n'est certes pas le meilleur film de son réalisateur - à vrai dire il est difficile d'atteindre le niveau de ses meilleurs tant sa carrière fut couronnée de succès - mais il est à coup sûr un excellent film qui fera date dans le cinéma, grâce à sa révolution et son audace. Un des meilleurs films de cette année.
20/20