Fraîchement récompensé d'un Oscar du meilleur scénario pour son premier film, Jordan Peele est devenu en très peu de temps une référence. Le favori du genre horrifique. Alliant intelligemment critique sociale et film d'horreur malsain, «Get out» avait surpris la critique et l'a pleinement convaincue : la preuve en est, on en parle encore aujourd'hui. C'est donc avec une certaine impatience que j'attendais «Us», d'autant plus que le talentueux réalisateur enfilait toujours les titres de scénariste et producteur. Malheureusement, contre tout attente, il semble être totalement dépassé par son ambition.
Je ne peux contenir mon désarroi face à «Us», j'avais tant envie de l'encenser... il n'en sera finalement rien. Le long-métrage, après un texte introductif et une première scène glauques comme pas possible, installe son récit. Il traitera d'une histoire simple mais qui a tout pour être efficace : une famille part séjourner quelques jours dans leur maison de vacances sur la côte Californienne où ils se font mystérieusement attaquer par une autre famille qui leur ressemble presque trait pour trait. Concept intéressant, morts au tournant : et la première victime sera le scénario, remplis de failles. C'est assez contradictoire de dire ça alors qu’un an auparavant son auteur a reçu un Oscar récompensant justement l'écriture de son précédent scénario, mais force est de constater que son nouveau est empli de défauts.
Plusieurs niveaux sont à critiquer dans l'écriture, à commencer par les personnages, et notamment celui du père. Fort d'être interprété par un acteur investi, le personnage oscille sans cesse entre le sympathique et le frustrant tant il gâche l'ambiance pesante avec son humour lourd. Je n'ai jamais su comment se positionnait son personnage : est-il une incarnation de l'héroïsme patriarcal américain ou bien un père de famille costaud en apparence mais lâche au fond? Il s'agit d'une question qui restera sans réponse car on ne s'intéresse que très peu à son personnage et qui, d'ailleurs, ne participe même pas au climax final et n'aide pas ceux concernés : inutile le gars. L'humour que dégage ce personnage est incohérent avec le but du film qui était, je pense, de nous faire frissonner, de nous inquiéter, mais cet humour porte préjudice au métrage car il désamorce la tension de multiples fois.
En effet, le long-métrage se plante totalement du côté horrifique. Malgré un premier quart d'heure éminemment glauque, «Us» désamorce totalement le danger qui pèse sur la famille Wilson lors de la rencontre entre la famille maléfique et les protagonistes. Une fois celle-ci passée, la menace que représente les reliés se développe bien trop lentement et n'est jamais suffocante. On ne ressent jamais une quelconque inquiétude vis-à-vis d'eux car ils prennent trop de temps à tuer la famille, contrairement aux autres reliés assoiffés de sang ce qui supprime quelconque suspense. Rajoutez à cela l'humour du père et des morts qui se produisent sans cesse en hors champ (ou du moins avec un angle de caméra éloigné de l'objectif) et vous obtenez un slasher somme toute peu efficace.
Pourtant c'est dommage que le tout ne prenne pas forme car le fond y est extrêmement intéressant. En effet, la métaphore opposant les «favorisés» (habitants de l'occident) et les «défavorisés» (les migrants et, plus généralement, le tiers-monde), imagés dans le long-métrage par le monde réel et le monde des reliés, est une allégorie politique intéressante. Il y a également la chaîne humaine qui fait référence direct à un véritable événement qui s'est produit aux États-Unis, mais est également la symbolique du mur que Trump veut construire à la frontière mexicaine. Le message de Peele reste tout de même flou : veut-il dire qu'en restant unis on peut réduire les inégalités à l'échelle mondiale? peut-on contrer les idées de Trump? Nous ne saurons réellement le message concret du réalisateur, laissant place à notre imagination, mais trop d'interrogations restent en suspens.
Enfin, la fin et les révélations qui s'en suivent sont déstabilisantes. Tout d'abord car elles apportent un twist certainement bienvenue mais créent également des incohérences ; incohérences qui étaient déjà présentes en masse, en plus d'incompréhensions que je vais évoquer ci-dessous. Certes je n'ai pas forcément vu venir le twist final (même si la bande annonce, qui en révélait beaucoup trop soit dit en passant, le suggérait) mais je ne vois pas ce que ça apporte de plus au film si ce n'est de multiples désavantages. L'impact émotionnel, la tendresse et la pitié que l'on évoquait pour Adelaide disparait et il pose surtout la question : pourquoi tout ce cirque? Pourquoi Adelaide a-t-elle peur de revenir dans cet endroit (elle y revient des années après d'ailleurs : pourquoi tant de temps d'attente?) alors que c'est la maléfique qui est revenue du palais des glaces? Pourquoi est-ce la maléfique qui trouve le vrai monde en premier? Aucune personne du monde des reliés n'a jamais «pensé» (si je puis dire étant donné qu'ils sont dénués de conscience et ne peuvent seulement reproduire les mouvements des vivants) ou du moins personne ne s'est jamais aventuré dans le palais des glaces et donc dans le monde des reliés? Pourquoi la vraie Adelaine Wilson monte une armée de reliés? Quel est donc le prétexte pour qu'elle obtienne l'allégeance de Adelaine? Le fait de faire de la danse? What the fuck? Et pourquoi les dits reliés font exactement comme les vivants alors qu'ils vivent dans des tunnels, sans l'espace disponible dans le monde réel? En somme, BEAUCOUP trop de questions subsistent à la sortie de la séance et c'est fichtrement frustrant, d'autant plus que ça n'apporte jamais rien de positif autant de mystères en suspend. Pourtant j'aime lorsqu'il reste un peu de mystères à la fin d'un film mais là il y a bien trop d'invraisemblances et/ou incohérences accumulées pour que l'on soit pleinement satisfait par ce que propose le long-métrage en terme de réponses.
En revanche, un côté où «Us» est une des plus grandes réjouissances, c'est au niveau de sa sublime photographie. Les jeux de lumière y sont nombreux, les plans très esthétiques, l'ambiance lugubre : du côté artistique, le film est une véritable pépite. Je n'ai grand chose à dire sur la bande originale que j'ai trouvé efficace sur le coup mais globalement lambda et sans grands moments marquants dans sa composition.
À l'issue de la projection, nous sommes premièrement chamboulés par «Us», produit étonnement lugubre et étrange, mais nous restons également frustrés par la maîtrise trop approximative du scénario. Jordan Peele semble envahit par son ambition et à force de vouloir la jouer trop intelligemment dans le fond, il en néglige la forme de son long-métrage et en perd au change avec un cheminement sans surprise et une fin trop déroutante. «Us» restera une belle déception mais restera aussi marquant, d'une certaine manière.
10/20