There must be an angel (Playing with my heart)
Quelques spoilers, normalement pas énormes, ni gênants pour apprécier le film. Mais vous êtes prévenus.
J'ai commenté, à propos de la fin ouverte et presque timide de Spectacular now : "C'est marrant, suivant le film, on peut aussi bien dire de ce genre de conclusion qu'elle est parfaite ou complètement paresseuse".
Ce n'est pas une excuse que je trouve au film. C'est rééllement la manière dont je voulais qu'il se termine.
Il a fonctionné le bougre. Parce que je suis un garçon, parce que je suis plus mièvre que @Before-Sunrise (c'est elle qui l'a dit) ? Peut-être. So what ?
La réalisation n'offre pas des prouesses technologiques ou des effets flashy, mais au détour d'un joli petit plan séquence, d'une scène parlée touchante même si indéniablement un peu guimauve, on se rappelle que c'est bien aussi de filmer proprement, des fois.
Et puis ce n'est pas plus mal que le style s'adapte au propos. Certains l'oublient trop souvent. La shaky cam ça fait indé, vous comprenez ? Bordel non, personne n'a jamais été mis au piloris pour avoir eu recours au trépied.
En outre, je trouve à l'usage des filtres un charme inhabituel, une texture et un grain de l'image artificiels si vous voulez, mais s'en détachent une ambiance intimiste, un cocon propre à la confidence et à l'exposition des propos somme toute assez durs qui constituent le cœur du film.
Car oui, si par certains côtés on peut faire le reproche d'un manque d'originalité (je vous renvoie à la critique de @Dream pour la liste de ces points), je trouve que le thème majeur abordé, a fortiori son application à l'adolescence, est puissant et suffisamment rare pour être apprécié.
Je me permets un mini-spoil puisque c'est dévoilé tôt. Sutter, adolescent alcoolique, se confronte à de vrais sentiments et lutte avec ses démons : la bouteille et un père absent.
Pourtant, je n'ai pas ressenti ce manque de subtilité dénoncé par le gars @Dream. Que ce soit la façon dont son addiction est amenée, montrée dans la continuité, ou la passivité de son entourage à ce sujet, la finesse est de mise.
J'en arrive au point essentiel de ma critique : le supposé manque de consistance d'Aimee.
Elle est pour ainsi dire invisible aux yeux des autres, mais il y a une raison à cela. C'est la bonne étoile, le Jiminy Cricket, elle n'est là que pour Sutter. Elle lui pardonne tous les écarts, et je comprends qu'à certains égards elle puisse paraître tiède et sans relief.
N'ayant pas la fibre religieuse, elle m'apparaît malgré tout clairement et singulièrement comme une allégorie angélique. Si l'on revient sur le désengagement des proches de Sutter par rapport à ses problèmes, cela n'en rend l'arrivée d'Aimee que plus marquante, limite biblique. Sa première apparition à lui est ainsi caractéristique de l'ange. Il pense avoir une vision éthilique et elle est au-dessus de lui, avec uniquement le ciel en fond et un contre-jour découpant sa silhouette.
Vous noterez d'ailleurs que cela se produit juste après l'écran de titre "The Spectacular NOW" (now en majuscules, donc le spectaculaire va être juste après... Et l'image suivante, devinez qui est là ?). Cet écran de titre survient pourtant plus de six minutes après le début du film. Coïncidence ?
Paradoxalement, lors d'une discussion avec son meilleur ami, Sutter affirme qu'il peut aider Aimee. Délicieusement ironique.
Aimee est pure avant de rencontrer Sutter : vierge, pas d'alcool. Se teintant de corruption progressivement et volontairement au contact de ce dernier (contact que refuse la seule amie d'Aimee, Krystal, encore un élément révélateur à mon sens si elle aussi est un ange et qu'elle ne partage pas la sympathie qu'Aimee éprouve pour Sutter), elle endosse une partie de son fardeau. Elle l'épaule sur son chemin de croix (lorsqu'elle l'accompagne dans son pélerinage) et se sacrifie pour lui lorsqu'il va trop loin, pour le laver de ses péchés (et il cumule presque tous les capitaux, sinon l'avarice et éventuellement la gourmandise. Tout le reste est montré), allant jusqu'à s'excuser de son échec juste avant l'impact, alors que pour nous c'est bien entendu Sutter le fautif, avec ses accusations injustes et son attitude auto-destructrice... Puis elle s'en sort sans une égratignure, "miraculeusement".
Elle parle de ses proches mais on ne les voit jamais, à l'exception de son frère pour un merveilleux double doigt d'honneur, malgré les occasions pour cela : personne ne vient à la cérémonie de remise des diplômes ? On ne nous montre pas la discussion qu'elle doit avoir avec sa mère pour l'entrée à l'université ? La fameuse sœur de Philadelphie ? Zappée. Comme si Aimee sortait de nulle part.
Ses seuls contacts : Sutter, qu'elle a choisi de protéger; un mec curieusement lisse à la petite fête dans les bois, qui secoue la tête d'un air réprobateur en la voyant s'éloigner avec Sutter (un autre ange qui désapprouve son choix ?); Krystal, possiblement une semblable également. Et... c'est tout.
On constate d'ailleurs combien la famille de Sutter est mal à l'aise en présence d'Aimee, et pas seulement à cause de la mort de son père.
Jusqu'à ses lectures, avec une héroïne de manga évoluant dans l'espace (le ciel ?) et supposée sauver son monde en transportant une Arche. Ça vous paraît familier ?
Je pense qu'il faut recevoir le film ainsi : une parabole.
Au passage, dans cet univers que je dessine, la pauvre Cassidy endosse sans hésiter le rôle de la succube un peu ambivalente. Ayant fini son travail sur Sutter et constatant l'arrivée d'une rivale, elle se rabat sur un "pur" : Sutter nous fait le portrait élogieux de Marcus pour appuyer cela, disant même qu'il va sauver le monde... Sauf s'il se fait corrompre à son tour. Vous voyez, tout est cohérent.
Le personnage de Sutter, torturé, est une caricature parce qu'un symbole. Il n'est personne, sinon l'image de tous ses semblables, soumis à la dictature de la boisson. Son caractère, son attitude, sont la somme des défauts et des clichés de l'alcoolique. La figure du père, la distanciation avec la mère et, plus généralement, le refus de tout engagement sentimental, qu'il soit familial, amical ou amoureux.
Jusqu'à cette posture attendue, "éloigne-toi de moi, je vais te faire du mal". En filigrane, une vision prophétique du mari violent, adultère. C'est d'ailleurs ce moment que choisit Aimee pour son expiation-choc.
La fin du film se déroule au purgatoire, j'évite d'en révéler davantage pour ne pas spoiler plus que nécessaire. En ce sens, la scène de remise des diplômes est le pivot, peut-être un peu trop obvious je le reconnais, du film, avec le basculement autour du verre d'alcool.
La sérénité ambiante et, malgré les atermoiements de Sutter, la fameuse fin, sont propices à l'introspection pour le spectateur. Remettre en perspective ce qu'il vient de vivre et le chemin qu'il reste à parcourir pour les protagonistes principaux. Le chemin rédemptoire est amorcé, et on laisse au spectateur le choix de l'absolution ou non.
La musique, discrète, souligne néanmoins les étapes. Burlesque pour les épisodes descriptifs de la déchéance de Sutter, elle se fait aérienne en présence d'Aimee (il y a même des clochettes à certains moments) et parfois inquiétante, oppressante, lorsque Sutter retourne auprès de Cassidy.
Je ne fais pas souvent une interprétation aussi poussée des films. D'une part parce que ça me paraît rarement utile, d'autre part probablement parce que leur sens m'échappe, ne nous leurrons pas.
Celui-ci m'a touché et marqué. En un mot comme en cent, il est sensible, inspiré, brillamment exécuté, et pour moi une réussite totale alors même que, je le répète, je n'ai aucunement d'affinités avec la religion.
Mais je l'ai trouvé spirituel, dans tous les sens du terme, et je vous recommande chaleureusement cette expérience quasi-mystique.