Le clivage qu'engendre Titane est totalement compréhensible, dans la mesure où la Palme d'or est une des récompenses les plus prestigieuses et que le film de Ducournau demeure ce qu'il est : un deuxième film. Les imperfections sont donc légions et on subodore parfois une dissonance entre ce que la réalisatrice avait en tête et le résultat à l'écran. A l'inverse de Grave, qui était un film foudroyant mais accessible, Titane est une œuvre radicale où Ducournau met tout, sans toujours parvenir à transformer ses métaphores en éléments narratifs concrets. En résulte donc une œuvre un peu bâtarde, avec quelques problèmes de rythme, un récit qui se plie trop aux symboles voulus par la réalisatrice et un petit manque de caractérisations des personnages. Bref, le film est indéniablement inabouti. Et pourtant, il faut voir l'énergie débordante de Ducournau, qui détruit tout sur son passage et m'emporte totalement avec elle.


Titane est donc un projet atypique où les multiples références, bien visibles, se combinent pour former un tout nouveau et stimulant. Le film commence pourtant comme la suite logique de la carrière de Ducournau après Grave ; une compilation revancharde et vorace de tout ce que le cinéma de genre underground peut offrir. Il ne faut en effet pas attendre longtemps pour retrouver la force esthétique de la réalisatrice, qui affiche sa maîtrise comme celle de son personnage à travers un plan-séquence rock et sulfureux bluffant. Une séquence d'autant plus impressionnante que la caméra de la cinéaste évite tout voyeurisme, entièrement rivée à assoir la domination du personnage d'Alexia. Le récit enchaînera rapidement avec des scènes gores jouissives et rythmées où le cinéma de Ducournau paraît invincible et inarrêtable. Mais très vite quelque chose se casse et le programme survitaminé de Titane s'effondre. Maintenant que la cinéaste a fait étalage de toute sa maîtrise, elle est désormais prête à arpenter d'autres rivages cinéphiliques. Et c'est là que la cinéaste nous ouvre son cœur.


Titane va ainsi muter de super-slasher à body-horror tourmenté. Mais ce n'est pas tout. La rencontre avec Vincent Lindon est déterminante et l'ambiance du long-métrage va radicalement changer. La relation entre les deux protagonistes est proprement bouleversante - et il est peut-être là, le vrai imprévu du film. Titane est beau. Visuellement oui, évidemment, mais aussi thématiquement.


L'émotion fonctionne grâce à plusieurs choses ; d'abord, l'interprétation phénoménale des acteurs. Si Agathe Rousselle est d'une grande justesse, jouant parfaitement de la nature quasi-muette de son personnage, c'est bien Vincent Lindon qui bluffe le plus ici. La réalisatrice l'a dit ; dans son film, c'est les corps qui l'intéressent. Et le corps de Vincent en dit beaucoup ; sa posture nous apprend tout sur sa tension, ses moments de lâcher-prise, sa tendresse, son amour fou pour son fils. Son jeu corporel ainsi que la caméra de Ducournau semble souvent se répondre, comme si l'un avait été parfaitement conçu pour être filmé par l'autre.


Car si l'écriture de Titane est parfois trop fonctionnelle, il est clair qu'une grande partie de sa réussite émotionnelle est détenue par l'investissement total de ces interprètes. Il faut voir la manière dont Vincent scrute une fenêtre derrière laquelle se cache son fils ou son abandon lors du morceau de Future Island...C'est juste beau.


C'est d'autant plus beau que Julia Ducournau sait parfaitement tirer toute la force de ce genre de moment pourtant théoriquement très "poseurs". Sa caméra n'abandonne jamais les personnages et le jeu des acteurs reste toujours emprunt de justesse dans ces moments planants. Difficile d'y rester insensible. Titane est donc un film qui, à mes yeux, regorgent de fulgurances, que ce soit son intro rock, une scène de sexe dans une voiture ou un usage plutôt atypique de la macarena, le film parvient toujours à transcender grâce à l'originalité de ses idées et la force de sa mise en scène.


Thématiquement, je pense que le film est avant tout tourné vers l'avenir. L'oeuvre retrace tout d'abord la rencontre entre deux entités que tout oppose, que ce soit dans les pulsions (vie/mort), dans les matières (terre/feu), ou encore via le genre - les deux univers étant très caricaturaux des genres respectifs. A travers cette rencontre, Ducournau embrasse finalement un message d'espoir, celui d'un monde où l'on accepte entièrement l'être d'à côté, dans tous ses défauts et dans toute sa monstruosité. Cette intention se retrouve évidemment dans la séquence finale, bouleversante, qui retourne les codes du Body-Horror pour parler finalement de l'acceptation de nous-même. Ducournau paraît croire fermement à son monde et le fait qu'elle ait obtenu la palme d'or semble lui donner raison ; on accepte désormais les monstres parmi nous. Comme elle l'a dit si bien, son film est comparable aux géants qui ont fini par donner naissance aux titans, une nouvelle humanité absolument monstrueuse mais puissante.


Un second film magique pour Ducournau, qui commence comme un cri de rage avant de se terminer dans une émotion sincère et inattendue. Un film de genre protéiforme, profondément imparfait mais réellement émouvant. C'est le genre de cinéma qui me stimule, même dans ses faiblesses. Il restera à jamais quelque chose d'obscure et d'inabouti dans ce métrage mais peu importe car le moment de cinéma fut grand et que le film ne me lâche pas depuis la fin de la séance...

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le 23 juil. 2021

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