L’affaire Viguier a cela d’intéressante qu’elle nous oblige à réfléchir sur le principe de justice. Un principe brillamment mis en avant par la plaidoirie d’Olivier Gourmet, dans la peau d’E. Dupont Moretti : nous ne sommes pas ici pour imaginer, ni pour juger, mais pour rendre justice.
Cette tirade, formidablement bien écrite et qui est l’un des plus beaux moments de ce film, le résume assez globalement. Viguier ne s’est jamais défendu, il a été jugé, calomnié, humilié, insulté, moqué, mais deux fois acquitté, car notre justice a rendu justice sans juger l’homme...et pourtant...
Une Intime Conviction contient des éléments fictionnels, notamment le personnage de Nora qui est littéralement habité par, ce qui est désormais une icône pop : Marina Foïs.
Nora est tellement habitée par l’affaire qu’elle en oublie son propre fils, qu’elle en vient à se faire ses propres scénarios macabres basés sur du vent. Elle vient à condamner l’un sur des présomptions fallacieuses tandis qu’elle dénonçait les mensonges proférés sur Viguier.
Cette part de fiction permet au film de prendre des libertés intéressantes sur son déroulé, mais aussi de l'ouvrir vers d’autres réflexions : l’impact d’une telle affaire sur le voisinage, la place des témoins et des rumeurs, l’impact d’une affaire sur le cocon familial, le rôle de la justice, les guerres intestines des tribunaux, etc.
Et finalement, il n’y a que l’avocat, celui qui connaît la justice qui ramène Nora dans ses objectifs : acquitter Viguier. Dans cette affaire, on ne cherche pas le coupable, on cherche simplement à innocenter un gars déjà acquitté…On suit ainsi le travail d’enquête de Nora et de cet avocat sniper à grande gueule…qui a ses défauts mais qui représente bien ce qu’est le fait de rendre justice. On ne triche pas avec elle, il est dur mais de tous, c'est celui qui a le plus foi en cette justice qu'il représente.
Ce duo brillant, interprété par M. Foïs et O. Gourmet donnent au film une saveur toute autre. Les deux sont habités par leur rôle. Tout comme J. Viguier interprété par Laurent Lucas avec brio. Ce type est perdu, bipolaire et on lui demande de se défendre d’un acte dont il a été déjà acquitté…Il est difficile de se mettre à sa place mais l’interprétation de Laurent Lucas est vibrante. Sa réaction lors de l'annonce du jugement...son soulagement est vécu par Nora, cet acquittement c'est le sien mais c'est aussi la fin de la quête de Nora.
Et finalement le cheminement du film, aussi classique fut-il, lui permet de retracer globalement cette histoire aussi fascinante que tragique. On vibre, on cherche pendant 1h50 pour savoir et la froideur de l’annonce du jugement, qui décide du destin d’une personne, d’un homme, fait froid dans le dos. J. Viguier jouait sa vie sur ce jugement, et ce dernier est expédié en 5 secondes de façon lapidaire. Glaçant. Et ce jugement est l’exact contraire de la verve qui habitait la plaidoirie et de la passion qui a poussé Nora à faire tout cela.
Une Intime Conviction brille grâce à un casting d’excellents acteurs et profite d’une histoire fascinante qui cache finalement une réalisation assez classique même si quelques scènes sont marquantes (la plaidoirie évidemment, le passage de la babysitter, etc.).
Une intime conviction est une tragédie judiciaire qui donne quand même foi en notre justice et qui nous rappelle que cette dernière n’est pas là pour juger, ni pour imaginer mais rendre justice sur des faits en oubliant une partie de notre affect. Si J. Viguier est difficile à aimer, même difficile à croire, il fait même un bon coupable !.. il n’y avait rien qui justifiait un tel déchaînement de haine, nous rappelant ainsi l’écart entre vindicte populaire et activité médiatique contre justice et faits objectifs : pas de preuve, pas de corps, pas de meurtre, pas de coupable.
Une fresque judiciaire réussie qui confirme la très bonne forme du cinéma français en ce début 2019 !