À l'inverse de La Reine des neiges, sorti il y a déjà trois ans, contrit de rebondissements kitsch et de paillettes, ce n'est pas par enflure du style que Vaiana tire son épingle du jeu ; c'est au contraire en chassant tout élément superflu de la matrice de leur film que John Musker et Ron Clements, déjà aux commandes de La Petite sirène et Aladdin, se ré-approprient une recette pourtant éculée. C'est donc sans sentimentalisme ronflant et humour balourd que la jeune Vaiana de Motunui part dompter les flots au delà du récif de son île afin de sauver Te Fiti, déesse polynésienne de la création, en compagnie de Maui, demi-Dieu infantile mais surpuissant. Avec, à la clé, le premier bildunsgroman (ou récit d'apprentissage) féminin de l'histoire de Disney (nonobstant Mulan et ses maladresses), dans lequel une jeune fille, lancée à l'assaut de mers déchaînées, part avant tout à la découverte d'elle-même : Moana, son véritable prénom, signifie littéralement "océan" dans la plupart des dialectes polynésiens. Remplacé en Europe pour de sombres histoires de droit d'auteur, on ne dira jamais assez de bien de ce titre original qui dédouble son héroïne, rendue à la fois sujet et objet de sa propre histoire, et plus simple spectatrice passive d'une fable convenue.
Ce récit à taille humaine impose malheureusement à Vaiana quelques maladresses de rythme. La première partie, très belle, voit Vaiana grandir, irrésistiblement attirée par l'océan, remonter la trace de ses ancêtres, hésiter puis échouer à franchir le récif, le tout pendant presque quarante minutes : à la fois trop court (on aurait pu, sur ce régime, faire tenir un seul film, magnifique, fait d'hésitations et de conjectures mystiques) et trop long, ce premier acte ronge la suite de l'aventure, qui se décompose alors en blocs hétérogènes sans véritables transitions, lorgnant vers une Odyssée du pauvre. C'est là que l'imaginaire de Vaiana se met à tourner à vide : les références trop évidentes (et parfois surprenantes, puisqu'on retrouve à la louche Mad Max et L'Étrange Noël de Monsieur Jack) phagocytent le cœur du film, qui se mue alors en démonstration technique. Les techniciens Disney, qui n'ont désormais plus rien à envier à ceux de leur sœur rivale Pixar, auraient tort de complètement s'en priver : Vaiana est superbe, et il suffit de voir les lames de fond emporter l'héroïne sur les coraux pour prendre la mesure de la prouesse technique réalisée sur le rendu de l'eau.
Film musical oblige, le jukebox fait également son grand retour, et l'héroïne y beugle les mêmes paroles indigentes que toutes celles qui l'ont précédée : on pourra reconnaître à Lin-Manuel Miranda quelques belles réussites (la chanson We Know the Way, partiellement en dialecte polynésien, marque un des plus beaux moments du film), mais même ces dernières peinent à renouer avec la gloire passée des meilleures comédies musicales Disney, sous-genre à jamais marqué par l'incroyable mise en musique du Roi Lion par Elton John et Tim Rice. Mais ces quelques défauts, plus ou moins prégnants sur le long-métrage, ne suffisent pas à éclipser le vent de fraîcheur que Vaiana fait souffler sur la production Disney. Dans ses meilleurs moments, le film rappelle le projet fou de ce père de famille qui, pour sa fille, a reprogrammé The Wind Waker pour transformer Link en héroïne. Lorsque John Musker et Ron Clements entreprennent de mettre en image la réconciliation d'un peuple avec son élément naturel, l'océan, Vaiana évoque même sa lointaine parenté avec les fabuleux Ponyo sur la falaise de Miyazaki et Capitaines Courageux de Victor Fleming, deux chefs d'œuvre absolus sur le rapport de l'homme à la mer. Pur objet de cinéma, ce que Vaiana perd en perfection, il le gagne alors en incarnation, preuve en est que, non content d'être bien vivant (on le savait déjà depuis Zootopie), Disney peut aussi renouer avec la gloire passée de ses meilleurs contes de fée.