Étrange pédigrée que celui de Ватерлоо, fastueuse coproduction russo-italienne dirigée par l’homme de Guerre et Paix, Serge Bondartchouk, tournée dans la langue de Shakespeare en Ukraine, à l’aide de 20 000 soldats soviétiques, dont une brigade de cavalerie au grand complet, le tout à la gloire de deux génies de la guerre. À gauche le champion en titre, mais sur le déclin, Napoléon Bonaparte, empereur des Français ; à droite Arthur Wellesley, tout récent duc de Wellington. Les fameux "Cent jours" forment une épopée absurde et suicidaire. Eut-elle vaincu l’Angleterre et la Prusse, qu’une France exsangue et ruinée aurait été incapable de résister aux assauts combinés de l’Autriche et de la Russie. Napoléon n’a plus d’alliés et s’avance seul sur terrain choisi par Wellington.


Rod Steiger joue un Napoléon crédible, malade, impatient et injuste. Le Corse ne perd pas de combat, il est toujours trahi, un jour par Marmont, un autre par Grouchy. Christopher Plummer incarne un duc de Wellington, grand seigneur cynique, hautain et inspiré.


Une longue première partie nous présente les familiers des deux champions : Ney, La Bédoyère, Soult, Grouchy, Drouot à Fontainebleau, puis à Paris après le retour de l’Aigle. Picton, Ponsonby, Uxbridge et le jeune lord Hay réunis par le bal de la duchesse de Richmond : la fine fleur de l’aristocratie locale danse avec les officiers britanniques. Alerté, Wellington refuse d’interrompre la fête et donne ses premiers ordres d’une pièce attenante. À 3 h du matin, il se retire et, dès 7 heures, galope vers Waterloo. La “morne plaine“ n’est qu’à quelques kilomètres de Bruxelles. Le premier coup de canon est donné à 11h30.


La bataille sera longtemps indécise. Les images sont magnifiques. J’observe ces myriades de figurants, infiniment plus crédibles que les nuages de pixels actuels. Ils bougent vraiment, courent, peinent, tombent. Comment ne pas penser à leurs aînés ? Les véritables héros cette triste journée.


J’avoue ressentir un malaise certain devant ces seigneurs de la guerre qui montent en ligne joyeusement et arborent, à l’heure de lancer la charge, des sourires carnassiers. La guerre semble belle. Les unités avancent, les sergents font serrer les rangs, les corps tombent par grappes. Les uniformes rouges, bleus ou noirs se tachent de sang. Tels des joueurs d’échec, Wellington et Napoléon commentent la partie en direct. Ils tentent de deviner ce que trame l’adversaire derrière la colline, à l’abri du fameux brouillard de guerre de Clausewitz. Grouchy est en retard, Blücher est là. C’est fini.


Un jeune Anglais sort des rangs pour hurler l’absurdité de la guerre : pourquoi se battre ? Il est tué. Napoléon a déjà pris la route de Sainte-Hélène. Wellington erre sur le champ de bataille... au milieu des cadavres. Bondartchouk nous épargne les estropiés et les mourants. 25 000 morts et 65 000 blessés en quatre jours, le quart des troupes engagées, la guerre tue. Le dernier mot revient au vainqueur : « Rien, sinon une bataille perdue, n'est aussi mélancolique qu'une bataille gagnée. »


PS. Que sont-ils devenus ?


Uxbridge, avec un flegme tout britannique, à Wellington : « My lord, j’ai perdu ma jambe gauche. » « En effet. » En 1808, Uxbrige avait scandalisé la société londonienne par sa passion adultérine pour lady Charlotte Wellesley, belle-sœur de Wellington. Les couples divorcèrent et le comte Uxbridge épousa sa Charlotte. Le soldat conserva la confiance de ses chefs. Wellington l’accueillit juste froidement. À un tiers qui s’en étonnait, il lâcha : « Oh non ! Je n’ai rien oublié… J’ai bien peur que ce ne soit pas tout. Lord Uxbridge a la réputation de s’enfuir un peu avec n’importe qui… Je tâcherai de m’arranger pour qu’il ne le fasse pas avec moi. » Les succès de ses charges les rapprochèrent et Uxbridge deviendra l’un de ses proches.
Ayant perdu ses malles, Picton se battit en tenue civile et haut-de-forme. Il dirigeait l’assaut qui rompit la progression du 1er corps français quand il prit une balle dans la tête.
Après avoir chargé le 1er corps, la brigade de cavalerie de Ponsonby s’approchait de la grande batterie, lorsqu’elle fut contre-attaquée par nos cavaliers. Il fut tué par des lanciers. Les Royal Scots Greys perdirent 14 officiers et 185 dragons, dont 104 tués, sur 396 hommes, mais capturèrent l’aigle impérial du 45e de ligne .
James, lord Hay, fils du 17e comte d'Erroll et enseigne au 1st Foot Guards, n’était pas fiancé à la fille du duc de Richmond ; leur romance n’est point historique ; mais il fut réellement tué ce jour-là, il avait 18 ans.


Du côté français, la placide Louis XVIII, interprété par Orson Welles, eut la sagesse de pardonner à ses soldats qui, dans l’immense majorité, l’avaient trahi. Il ne laissa fusiller, à titre expiatoire, que deux grandes gueules : le vieux Ney et le jeune La Bédoyère. Grouchy et Soult reprirent du service. Seul Drouot refusera.

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le 15 mars 2018

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Step de Boisse

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