La moiteur de ses mains traduit son état de crispation, tandis que son front perlant de sueur témoigne de l'effort dantesque fourni par son corps, jusqu'alors tendu comme un arc, et dont le brusque relâchement s'accompagne d'un coeur battant la chamade à n'en plus finir...
Non, je ne parle pas d'Andrew Neiman au sortir de sa performance sidérante, mais bien de moi, pantois, ébahi et estomaqué, et j'en passe et des meilleurs, par le dénouement de Whiplash venant parachever une oeuvre somptueuse et passionnante de bout en bout... de quoi me faire demander de quel bois peut bien être fait Birdman, oscarisé Meilleur film l'année passée devant la consécration précoce de Damien Chazelle.
Reprenant fidèlement le sujet de son court-métrage du même nom, le jeune cinéaste s'est en effet fendu d'un pur bijou de cinéma, auréolé d'une ambiance jazzy enchanteresse et d'un duo de personnages principaux inoubliables ; et si ce fameux final d'anthologie, ni plus ni moins, en dit long sur la qualité intrinsèque du film, il convient tout de même d'en chanter les louanges plus en détails.
Pour commencer, bien que ne payant pas de mine, l'intrigue tend vite à capter notre intérêt en nous propulsant dans un univers peu orienté grand divertissement, mais qu'à cela ne tienne : pour le profane que je suis, la découverte en aura valu la chandelle tant l'alchimie s'opérant ici relève du pur délice, dans la mesure où Whiplash arbore un équilibre patent malgré l'entrecroisement de nombreuses thématiques.
Si le domaine musical en lui-même fait office de toile de fond, le long-métrage joue ainsi sur plusieurs tableaux avec un brio tenant du génie, Chazelle étant parvenu à condenser et développer en 140 petites minutes une histoire n'ayant rien à envier aux plus grands face à face du Septième Art, et là est en grande partie sa véritable nature : Whiplash n'est pas seulement le récit d'un énième surdoué s'éveillant auprès d'un maître charismatique, non de chez non, Whiplash nous contant un duel épique aux antipodes des ressorts traditionnels et manichéens qu'il est de coutume d'user à tort et à travers.
Prenons d'abord le cas d'Andrew : jeunot de 19 ans certainement brillant, sympathique de prime abord puis davantage ambivalent, l'ambition, la fierté et même de l'arrogance prenant parfois le pas, tandis qu'un contexte familial particulier vient savamment éclairer le tout, celui-ci étoffant à merveille la profondeur du personnage ; face à lui se dresse Terence Fletcher, figure reconnue et respectée dégageant une sacrée aura, et dont le leitmotiv pourrait être "la perfection de l'excellence à tout prix, sinon rien...", son degré d'exigence atteignant des niveaux saisissants, au point de malmener de façon insidieuse ses élèves, quand ce n'est pas explicite ou encore physique...
Mais encore une fois, bien que Whiplash fasse mine de dresser les portraits de deux beaux salauds (enfin l'un l'est plus que l'autre vous en conviendrez), l'intrigue foule du pied un tel état de fait en conférant à l'enseignant une logique, pour ne pas dire l'objectif de toute une vie, à même de justifier son comportement type "la fin justifie les moyens", de quoi souligner à n'en plus finir le caractère ambiguë du protagoniste ; le long-métrage pourrait donc se résumer à la confrontation entre deux personnalités hautement complexes, à la croisée de leurs intérêts et aspirations respectifs, et surtout dans un cadre immersif à souhait.
A présent, plutôt que de se pencher sur les performances grandioses de Miles Teller (un bon musicien au demeurant qui plus est) et de J. K. Simmons (punaise, tu les auras mérité toutes ces récompenses), cette idée de cadre "immersif à souhait" renvoie à la prouesse "formelle" de Whiplash, qui se sera en effet payé en effet le luxe de doter sa formidable histoire d'un magnifique enrobage : l'Oscar du Meilleur montage n'est d'ailleurs pas là par hasard, Tom Cross étant le grand artisan d'une telle immersion en nous projetant au plus près de l'action avec fougue et élégance, source d'une orgie visuelle succulente (belle photographie), tandis que la musique de Justin Hurwitz fait des ravages (par extension, l'Oscar du Meilleur mixage de son est diablement mérité).
En résumé, non content de porter une intrigue passionnante de A à Z, Whiplash assène tout aussi bien une claque sous un angle plus technique, l'ensemble transpirant une classe sans limite et surtout sans un quelconque accroc (ou alors c'est très minime, ou bien je suis aveugle / malentendant) ; truffé de bonnes idées et d'un crescendo servant au mieux son fabuleux dénouement, le film de Damian Chazelle vaut donc amplement sa réputation d'oeuvre jouissive vous transcendant comme il se doit... vraiment, ce serait un tort de s'en priver.