Peut-on définir un film sur le deuil de jubilatoire ? « Étonnement » (à la manière de Philippe Rebbot), oui. Comme son genre l’indique, il s’agit d’une comédie dramatique, un drame développé avec cette distance qui lui permet d’accéder à la facétie et de toucher le plus large public, d’ici et d’ailleurs. Mieux encore : il tend vers une spiritualité réconfortante, dont ce long-métrage n’est jamais dépourvu. Qu’il s’agisse de foi religieuse ou d’ésotérisme. Que l’on y croie ou pas, « À bicyclette » irradie d’une présence invisible les deux compères, tout au long de leur improbable voyage à bicyclette.


Youri, l'un des fils de Mathias Mlekuz, profession clown, 28 ans, se suicide au retour d’une équipée à deux-roues l’ayant conduit de France en Turquie. Sur les rives du Bosphore, Marzi est la dernière personne qui a croisé sa route, une iranienne à qui il a dit « Je t’aime ». Cinq ans plus tard, ce père entreprend le même voyage, à la mémoire de ce fils perdu sans explication qui cependant a laissé un livre de son expédition.


Il convainc son ami Philippe Rebbot de l’accompagner et planifie les mêmes étapes immortalisées en photographies par son fils artiste. Pour l’occasion ils deviennent clowns (Mathias Mlekuz a appris le métier dans la vraie vie) et s’improvisent cyclistes. Philippe Rebbot en costume-cravatte dandy, tee-shirt, casquette rock et petites baskets blanches sur un vélo bobo. Mathias Mlekuz pour sa part, se lance avec un vélo 24 vitesses, en short et tee-shirt ample, en compagnie de son merveilleux et si attachant Fox-terrier (lui aussi ayant appris le métier de clown). Voilà le trio parti sous le soleil, après un discours empreint d'une sincérité qui donne le La. Le La, cette note qui représente l’âme, une note de corde à vide, jouée sans qu’un doigt n’appuie dessus. La note fantomatique qui accorde.


C’est de cela qu’il s’agit : de cette concorde qui donne au film son aura singulière et à l’amour (tous les amours), une saveur sucrée et enivrante.


Philippe Rebbot, cinéaste, a suggéré l’idée du film et c’est le montage, a posteriori, qui restitue le buissonnier voyage de ce non moins insolite long-métrage, formidable déclaration d’amitié.


Le trio, cahin-caha, nous embarque pour une épopée tantôt lyrique tantôt baroque. Rebbot et ses provisions de clopes, de Ballantines et de rosés ; Mlekuz, son chien et ses pâtisseries, se complètent, s’anicrochent et se raccommodent ; se lancent dans des discussions existentielles savoureuses et poignantes les soirs de pleine lune ; s’initient aux joies du camping et du sport ; trichent ; exercent leur talent de magicien dans les écoles ; veulent se faire « une tête de turc » comme celle de la photo ; flanchent devant la statue de Youri Gagarine ; se fascinent pour les pin's au château de Dracula ou le papier-peint d'une église ; dissertent sur la culpabilité, les gosses, les parents, l'ordre des choses ; parlent de mort -beaucoup et de vie -surtout ; font des rencontres qui réchauffent le cœur en Pologne avant de s'égarer dans un champ de papier-toilette : un Normand égaré, une Allemande aussi libérée que structurée. Ils ne se déparent jamais de leur délicieux sens de l'autodérision. À Istanbul, Josef, le fils de Mathias rejoint le trio pour la rencontre avec Marzi.


J’ai ri à en pleurer, d'un rire franc, rempli d’éclats d’une émotion pudique. "À Bicyclette!" est un ensorcellement : ce fils suicidé sans que personne de son entourage n’ait jamais pu l'anticiper, laisse à ses proches une infinie tendresse. Il n'est jamais plus universels émois que ceux des vérités prises sur le vif.

Isabelle-K
9
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le 2 mars 2025

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