N'emmerdez pas le Taciturne
Fort de quelques visionnages de films coréens, je décide donc de venir à ce qui semble être, pour la plupart de mes éclaireurs, la pierre angulaire du métrage porté sur les taciturnes revanchards. C'est donc avec intérêt que je lance le film et découvre l'histoire de M. Kim, dirigeant son petit hôtel et servant d'homme de main à un parrain de la pègre local. Droit dans ses bottes, le garçon se voit confier la lourde tâche de surveiller la petite amie de son patron et de lui exploser la tête si jamais cette dernière venait à avoir une liaison... Attention, de légers spoils dans la critique !
Bon, ce qu'on attend d'un film de revanchard taciturne, c'est simple : un mec classe mais très mutique, qui vit d'actions illégales, un prétexte bien fort pour se retourner contre ses anciens patrons et une longue suite d'action sans concessions, histoire de faire passer l'envie à quiconque de revenir l'emmerder. Cela dit, ça va aussi un poil chercher plus loin, puisque le film de revanchard taciturne a aussi cette particularité de requérir une photographie souvent très léchée, un cadrage efficace et un montage qui appuie là où ça fait mal. Rien à redire à ce sujet, A Bittersweet Life a tout ça, et c'est un bon travail d'artisanat pour encadrer sa petite histoire. Niveau propreté, le film est donc parfaitement honorable et je pense que mes chers collègues de Sens Critique ont dû en expliquer les clés de voûte, aussi vais-je plutôt pointer ce qui m'a tout particulièrement touché.
Au-delà du fait que l'acteur principal, Lee Byung-Hun, ait réellement la classe dans son complet noir, l'histoire l'amène soudainement à sortir tout à fait du contexte de taciturne pour s'échouer sur des rivages bien plus délicats. En effet, cela débute d'abord avec la petite amie du boss, avec laquelle il ne tentera jamais rien mais dont on sent qu'au-delà de l'affection qu'il pourrait éprouver pour elle, elle symbolise le simple fait qu'il éprouve. Et dans cet univers où il vit, le contrôle prévaut sur tout, au détriment des émotions. Alors évidemment, une jeune femme qui échappe complètement à ce monde, qui se montre parfaitement insouciante, cela l'intrigue et, au fond, le bouleverse. Néanmoins, cette partie - très courte - du métrage est traité avec beaucoup de retenue, au moins qu'il n'est même jamais clairement question d'amour dans ce que pourrait ressentir Kim envers la ravissante demoiselle. D'ailleurs, je doute même qu'il soit question réellement d'amour, et c'est la seconde partie du métrage qui m'en a convaincu. En effet, et contre toute attente, la réaction du patron face au rapprochement intrinsèque de son homme de main le plus fidèle et de la charmante se résout par une séquence très longue de torture, puis d'humiliation la plus complète - et devant témoins méprisants, qui plus est. Et notre Kim, perdu, confus, comprend alors la vérité sur sa situation : si son patron se permet de lui faire ça, c'est tout simplement qu'à ses yeux, aux yeux du seul homme à qui il a accordé sa loyauté, il n'est rien. Un des sbires va même jusqu'à lui expliquer qu'il est chanceux, puisque le boss ne l'a pas fait tuer.
Cette prise de conscience a amené le récit dans quelque chose de bien différent de ce que j'attendais. On retrouve un homme qu'on nous a présenté comme précis, implacable, carré, devenir soudainement moins qu'humain et décidé à se venger. Avec toute la maladresse de quelqu'un qui avance dans l'inconnu, Kim se débrouille malencontreusement et le métrage en profite pour agencer quelques scènes asburdes, comme cet achat d'arme à feu. D'ailleurs, il est amusant de constater combien l'arme à feu est traité en objet étrange et inquiétant : le héros les maîtrise mal, les méchants les maîtrisent mal, les impacts sont redoutables.
Je tairai le surprenant final, qui lance une réflexion sur les attentes déçues, les occasions finalement perdues et l'inquiétante découverte d'un homme placé sur des rails qui prend conscience que son destin n'appartient qu'à lui. Finalement, peut-être que c'est ça, le grand message de Bittersweet Life, humanisme, peut-être un poil naïf mais amené par le chemin de croix de son personnage central, bien plus sensible et surprenant que son postulat initial ne le laissait entendre. Une véritable tranche d'une vie douce-amère.